L’incidence géopolitique de la montée en puissance de la Chine est source d’importants défis pour l’ordre international né des cendres de la Seconde Guerre mondiale. Forts de leur position nord-américaine et de solides liens transatlantiques, les Canadiens tardent à prendre la mesure des profondes répercussions de cette évolution sur leur pays, leur économie et leur sécurité.
Selon l’idée centrale de ce « livre blanc », ces répercussions doivent être examinées au plus haut niveau de l’État. Wendy Dobson et Paul Evans proposent ainsi que le Canada élabore un cadre d’action global et adapté lui permettant d’optimiser la défense de ses intérêts, de promouvoir ses valeurs, de gérer les risques de son engagement et de contribuer aux efforts déployés dans la région asiatique pour éviter les conflits et contenir les rivalités stratégiques. Plusieurs centres de recherche et gouvernements provinciaux ont produit des études sur l’importance croissante de l’Asie, qui préconisent l’adoption d’une approche multi-acteurs fondée sur le rôle moteur du gouvernement fédéral. S’appuyant sur ces travaux, les deux auteurs ont dégagé trois axes de réflexion.
Premièrement, ils consacrent leur analyse à la Chine en raison de sa prépondérance économique et de son importance géopolitique grandissante sur l’échiquier mondial. De fait, la Chine joue un rôle central dans l’ordre régional émergent. Dans ce contexte, le Canada doit agir sur deux plans pour défendre ses intérêts : accroître d’urgence sa présence commerciale pour ne pas être supplanté par une concurrence vigoureuse, et participer activement à l’élaboration de l’ordre régional, notamment parce que la stabilité politique de l’Asie est indissociable de nos intérêts économiques à long terme.
Deuxièmement, ils prennent la mesure du soutien de la population, lequel est nécessaire à la promotion des intérêts du Canada et à son engagement en Asie. Ils constatent ainsi que les Canadiens sont souvent mal informés et entretiennent à l’égard de la Chine une vision de plus en plus négative, à l’inverse des Australiens, par exemple. Pour répondre à leurs préoccupations, les auteurs préconisent de lancer un débat national sur la Chine en vue d’obtenir l’appui du public à une approche plus audacieuse. Ce débat devra privilégier les enjeux économiques et stratégiques du Canada tout autant que l’aspect moral de la défense des valeurs canadiennes.
Troisièmement, ils soutiennent que les intérêts à long terme du Canada seront mieux servis par sa participation active aux efforts de sécurité dans la région, étant donné que les avantages d’une interaction approfondie avec la Chine dépendront en partie des tensions suscitées par le déplacement des pouvoirs en Asie. Toute approche unidimensionnelle de la Chine est d’ores et déjà obsolète. Le Canada ne peut assister en simple spectateur à l’avènement d’un nouvel ordre régional.
Cet essai vise à susciter un débat public constructif sur un cadre d’action pour le nouveau gouvernement fédéral, lequel devrait être axé sur l’avenir et maintenu par les gouvernements ultérieurs. Il s’agirait donc d’un cadre non partisan fondé sur une approche multi-acteurs et le soutien éclairé de la population. Cinq priorités doivent guider son élaboration : le renforcement du leadership gouvernemental et de l’engagement du public ; une action immédiate pour tirer profit des avantages d’une nouvelle démarche de collaboration économique ; la modernisation de nos liens commerciaux, financiers et d’investissements ; une attention particulière au renforcement et à la restructuration de tous les aspects de nos relations futures ; la mise sur pied d’une présence crédible de moyenne puissance en Asie pour assurer notre sécurité et promouvoir nos intérêts.
L’année 2015 marque le 45e anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre le Canada et la Chine. En 1971, il s’agissait d’un événement historique, dont nous mesurons encore mieux l’importance aujourd’hui. Notre monde a été transformé par l’ascension de la Chine aux premiers rangs des grandes puissances — plus précisément par son retour parmi eux — tout autant que par l’expansion accélérée du vaste réseau d’interconnexions que nous appelons mondialisation. Le Canada et la Chine ne sont plus aux antipodes, ils sont désormais profondément interreliés. Pourtant, les Canadiens peinent à comprendre tout l’intérêt des liens entre nos deux pays, comme le reflète l’engagement souvent inconséquent et sporadique de nos chefs de gouvernement et d’entreprise.
À vrai dire, la Chine reste une énigme pour de nombreux Canadiens. Nous tardons à saisir l’ampleur des conséquences que peut avoir l’essor de cette puissance mondiale sur notre pays, notre économie et notre sécurité. Ce « livre blanc » se veut donc un appel à l’action, lancé à tous ceux qui jugent qu’un engagement constructif avec la Chine est indispensable à notre future prospérité. Wendy Dobson et Paul Evans y expliquent clairement pourquoi le Canada doit s’engager plus efficacement auprès du géant asiatique, et proposent à cet effet un cadre à la fois global et prospectif.
L’Institut de recherche en politiques publiques et la Munk School of Global Affairs partagent la même ambition d’améliorer nos politiques publiques et de produire une recherche du plus haut niveau en appui au processus décisionnel gouvernemental. En collaborant à la publication de cet essai, nous avons voulu favoriser le lancement immédiat du dialogue national préconisé par Wendy Dobson et Paul Evans, à l’heure où s’amorcent les travaux de la 42e législature du Canada.
Créée en 2011, la collection d’essais Horizons politiques IRPP offre aux chercheurs l’occasion d’aborder les grands enjeux sociaux, économiques et culturels qui auront une incidence durable sur nos politiques publiques, bien au-delà des affaires courantes qui accaparent nos gouvernements. Elle était donc toute désignée pour accueillir cet important essai, qui deviendra assurément une lecture de choix pour nos décideurs. C’est du moins ce que nous espérons, tout comme nous souhaitons que ses recommandations suscitent un fructueux débat national.
Graham Fox
Président et chef de la direction
Institut de recherche en politiques publiques
Stephen J. Toope
Directeur
Munk School of Global Affairs
Wendy Dobson est professeure à l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto et présidente du comité directeur international de la Conférence sur le commerce et le développement du Pacifique. Elle a été sous-ministre déléguée à Finances Canada et présidente de l’Institut C.D. Howe. Ses publications comprennent deux études sur la Chine, Gravity Shift: How Asia’s New Economic Powerhouses Will Shape the 21st Century (2009 ; traduite en mandarin) et Partners and Rivals: The Uneasy Future of China’s Relationship with the United States (2013).
Paul Evans enseigne les relations internationales de la région du Pacifique à l’Université de la Colombie-Britannique. Il représente le Canada dans le groupe d’experts et de personnalités du Forum régional de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Ancien directeur de l’Institut de recherche sur l’Asie à l’Université de la Colombie-Britannique et du Centre d’études conjoint Asie Pacifique de Toronto, il a aussi été coprésident de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Son plus récent ouvrage s’intitule Engaging China: Myth Aspiration and Strategy in Canadian Policy from Trudeau to Harper (2014).
Nous tenons à remercier les membres d’un groupe informel de conseillers, notamment -Dominic Barton, Stewart Beck, Ailish Campbell, Joseph Caron, Margaret Cornish, -André Demarais, David Emerson, Peter Harder, Lorraine Mitchelmore, Indira Samarasekera, Stephen Toope et Joe Wong. Nous remercions également tous nos interlocuteurs du Canada et de la Chine issus des milieux d’affaires et gouvernementaux, d’ONG et du monde universitaire, qui nous ont permis d’étoffer notre réflexion à l’occasion d’entretiens ou de simples conversations. Nous exprimons enfin notre reconnaissance à Zhenyu Alan Xiang pour son précieux soutien à la recherche. Les points de vue exprimés dans le présent essai, bien qu’enrichis par ces nombreux échanges, n’engagent que leurs auteurs.
Les dimensions et la présence grandissante de la Chine sur l’échiquier international en ont fait une puissance mondiale de premier plan, et tout indique qu’elle conservera longtemps ce statut. Pays le plus peuplé du globe et deuxième économie mondiale, la Chine cumule les premiers rangs : premier exportateur de marchandises, premier détenteur de réserves de change, premier marché de vente de véhicules, premier émetteur de carbone… la liste est encore longue. Selon la Banque asiatique de développement (Asian Development Bank, 2011), la Chine abritera en 2030 quelque 20 p. 100 de la classe moyenne de la planète, et sa population urbaine dépassera le milliard d’individus, ce qui fera exploser la demande en matière de logement, d’éducation, de soins de santé et de services financiers et environnementaux. Parmi les acheteurs de maisons aux États-Unis, les Chinois seraient désormais plus nombreux que tous les autres acheteurs étrangers, y compris les Canadiens, qui figuraient jusque-là en tête de liste (Gopal et Gittleson, 2015). Quant aux dépenses militaires de la Chine, deuxièmes du monde en importance, elles s’élèvent au tiers environ de celles des États-Unis1.
Il peut être complexe et ardu pour de nombreux pays d’entretenir des relations avec une grande puissance aux valeurs et institutions si différentes des leurs. De leur côté, les dirigeants et le peuple chinois étudient activement l’histoire et le savoir-faire de l’Occident pour apprendre de ses réussites, mais aussi pour adapter les idées et les institutions d’ailleurs à la situation de leur pays, tributaire d’une longue histoire et d’un contexte institutionnel unique.
Nous, les Canadiens, tardons à approfondir notre connaissance de la Chine. Nous avons tendance à la dépeindre de façon partiale, inexacte et incomplète, et semblons espérer que les Chinois nous ressembleront davantage à mesure qu’ils s’enrichiront et adopteront nos valeurs et institutions. Quand les choses se passent autrement, nous sommes déçus, parfois inquiets, et passons outre aux innombrables changements administratifs mis en œuvre par la Chine.
D’où le message central de cet essai, qui préconise d’approfondir notre compréhension de la Chine et de composer avec son évolution. Cela ne suppose aucunement de renoncer à nos valeurs et institutions mais de faire des choix parfois difficiles, et de gérer les risques inhérents au renforcement de nos liens avec un pays qui applique une forme spécifique de capitalisme autoritaire.
La Chine actuelle est confrontée à une série d’enjeux nationaux et internationaux. Pour comprendre son développement intérieur, il faut savoir que la plupart des changements émanent du sommet et non de la base, et qu’ils sont dictés par un impératif politique absolu : améliorer le niveau de vie de la population et créer suffisamment d’emplois pour préserver la légitimité et le contrôle centralisé du Parti communiste. L’industrialisation accélérée des 30 dernières années a spectaculairement contribué à l’accomplissement de ce mandat, mais au prix d’une dégradation de l’environnement, d’une corruption endémique et d’une forte inégalité des chances et des revenus. Selon les dirigeants chinois eux-mêmes, le pays traverse, en version moderne, une période qui s’apparente aux débuts de l’industrialisation de l’Occident.
Dans quelle mesure l’efficacité administrative privilégiée par le Parti communiste peut-elle se substituer à la véritable réforme politique ? La question est cruciale pour l’avenir du pays. Tout indique pour l’instant que ses dirigeants souhaitent à tout prix éviter une libéralisation économique et politique simultanée, responsable à leurs yeux de l’effondrement de l’Union soviétique. Il est aussi trop tôt pour tracer un bilan des deux années de pouvoir du président Xi Jinping, dont la stratégie et les buts sont diversement interprétés. Pour certains, il saura préserver le contrôle et la légitimité du parti tout en éliminant la pauvreté à l’échelle du pays, grâce à de vastes programmes de répartition des chances et des revenus, qui au-delà des dynamiques provinces côtières, profiteront à l’ensemble de la population. Pour d’autres, les pressions exercées par son implacable campagne anticorruption pourraient provoquer des désordres sociaux et politiques. Quoi qu’il en soit, de nombreux Chinois sont inquiets et incertains de cette Chine moderne et florissante qu’on leur promet.
Par ailleurs, la présence internationale grandissante de la Chine suscite autant d’espoir que d’inquiétude chez ses voisins et dans le reste du monde. La Chine a fortement bénéficié de l’essor économique d’après-guerre du continent asiatique, qui s’est étendu de l’Inde au Japon à mesure que des entreprises transfrontalières ont formé des réseaux de production en Asie et avec d’importants marchés américains, européens et mondiaux. Mais le recul de la croissance chinoise et les fluctuations boursières de 2015, qu’on peut considérer comme les répercussions des difficiles réformes économiques engagées par le pays, ont suscité de sérieuses préoccupations dans les pays limitrophes. D’autant que la Chine s’affirme de plus en plus dans la région en défendant ardemment ses frontières maritimes, qualifiées d’intérêts fondamentaux du pays. Pourquoi maintenant ? Au moins trois facteurs expliquent ce tournant offensif : la nécessité de renforcer le soutien populaire à la campagne anticorruption et aux réformes économiques du président ; la forte confiance nationale découlant des succès économiques du pays, qui a su éviter les pires effets de la crise financière de 2008-2009 ; la supposition d’un recul de la puissance américaine et de son enlisement dans les conflits du Moyen-Orient, même à l’heure où les États-Unis se « réorientent » vers l’Asie.
En cette période de transition géostratégique, les questions géopolitiques sont indissociables de l’avenir de l’Asie. La Chine y joue désormais un rôle central et semble poursuivre un ensemble complexe d’objectifs qu’il lui sera sans doute difficile d’atteindre. Mais qu’elle y parvienne ou non, son ambition aura de vastes répercussions bien au-delà de ses frontières. Elle touchera en fait l’ensemble du globe.
C’est pourquoi le Canada a tout intérêt à mieux connaître la Chine et à se doter d’un cadre de relations bilatérales à long terme. Surtout qu’à ce chapitre, il doit combler un important retard face à la majorité de ses partenaires du G20. Ce type d’enjeu stratégique doit être traité au sommet de l’État, dans une perspective tout aussi stratégique. Or le Canada est aux abonnés absents : le premier ministre ne s’est rendu que trois fois en Chine au cours des 10 dernières années, sans qu’aucune déclaration de principes ne s’ensuive.
Pour donner un nouveau départ à l’engagement du Canada en Asie, à commencer par la Chine, nous proposons les cinq recommandations suivantes :
Ces recommandations reposent sur l’analyse ci-dessous, qui examine tout d’abord les sources du négativisme des Canadiens à l’égard de la Chine. Nous analysons ensuite les solides complémentarités économiques de nos deux pays et les possibilités d’une collaboration renforcée, avant d’étudier l’évolution des enjeux de sécurité entre la Chine et les États-Unis dans la zone Asie-Pacifique, de même que leur incidence sur nos propres perspectives économiques. Le Canada ne peut se permettre de rester à l’écart, comme le montre l’argumentaire détaillé des recommandations, présenté en dernière partie, avant notre conclusion2.
La compréhension et le soutien du public sont indispensables à l’application d’un cadre d’action durable. Or deux éléments caractérisent l’opinion des Canadiens sur la Chine : un négativisme croissant et l’écart de perception entre experts et grand public concernant la connaissance de la Chine, la vision de son avenir et les mesures à prendre à son égard. Deux éléments dont l’incidence est considérable sur les politiques du Canada.
Une enquête de la Fondation Asie Pacifique du Canada (FAPC) a récemment confirmé cette inquiétude grandissante des Canadiens3. En 2014, plus de 70 p. 100 des répondants estimaient que la Chine serait plus puissante que les États-Unis d’ici à 2024, mais seulement 36 p. 100 se disaient favorables à un accord de libre-échange avec ce pays. Quelque 35 p. 100 des Canadiens interrogés percevaient la Chine comme très importante pour leur prospérité, soit 10 p. 100 de moins que l’année précédente. À peine 14 p. 100 disaient approuver l’acquisition par des sociétés d’État chinoises de participations majoritaires dans de grandes entreprises canadiennes. Seuls 10 p. 100 avaient des « sentiments chaleureux » à l’égard du pays, 60 p. 100 considéraient la montée de sa puissance militaire comme menaçante pour l’Asie-Pacifique, et plus de la moitié estimaient son influence néfaste pour leur mode de vie. Autour de questions analogues, l’enquête de 2012 proposait une liste d’adjectifs pour décrire la Chine. Par ordre décroissant, les plus fréquemment choisis étaient « autoritaire », « croissante », « corrompue », « menaçante », « forte » et « pas aimée ». Seuls 5 p. 100 des répondants ont choisi l’adjectif « admirée ».
De 2012 à 2014, la proportion des répondants pour qui la puissance économique de la Chine représente une opportunité plutôt qu’une menace a reculé de 50 à 40 p. 100. Et l’affirmation selon laquelle la situation des droits de la personne en Chine s’est améliorée depuis 10 ans n’était plus approuvée que par 39 p. 100 des répondants, par rapport à 47 p. 100 deux ans plus tôt.
Cette tendance à la baisse traduit un refroidissement de l’opinion vis-à-vis de la Chine dans plusieurs pays occidentaux. Mais pas tous. Selon des sondages multipays réalisés par un organisme américain, le Pew Research Center, 53 p. 100 des Canadiens avaient une vision favorable de la Chine en 2009, contre 39 p. 100 six ans plus tard. Dans la même période, un tel recul est observé aux États-Unis, alors que les perceptions en France et au Royaume-Uni sont relativement stables. Seulement 6 p. 100 des Canadiens interrogés en 2014 jugeaient que la Chine respecte les libertés de sa population, un taux analogue dans les pays occidentaux mais très inférieur au taux médian de 34 p. 100 parmi les 39 pays visés par l’enquête (Wike, Stokes et Poushter, 2015 ; Pew Research Center, 2013, 2014). Les Canadiens ne sont pas les seuls à se méfier de la Chine — on observe ailleurs le même mélange d’admiration, d’inquiétude ou de crainte —, mais ils se singularisent par la vitesse à laquelle leur avis a changé.
L’avis des Australiens est plus constant et plus favorable. Selon l’enquête 2015 du Pew Center, 57 p. 100 d’entre eux ont une vision favorable de la Chine, soit presque 20 p. 100 de plus qu’au Canada, cette proportion avoisinant le taux médian mondial en lente progression depuis cinq ans (Pew Research Center, 2015). Les enquêtes du Lowy Institute for International Policy, basé à Sydney, révèlent d’ailleurs un solide appui à la vision d’une Chine exerçant une influence positive sur l’économie australienne et un faible soutien à l’idée qu’une Chine plus puissante menacerait les intérêts du pays (Oliver, 2015).
Au Canada, le public et les médias prêtent à la Chine une attention grandissante et souvent critique. Ce négativisme comporte trois aspects. Le premier, d’ordre expérientiel, découle de la rapide multiplication d’interactions parfois complexes avec la Chine. Par exemple, on attribue aux investissements chinois la montée du prix des maisons, et on récuse les pratiques commerciales d’entreprises chinoises présentes au Canada. Les Instituts Confucius. voués à la promotion de la langue et de la culture chinoises, sont aussi montrés du doigt : leur action au sein de nos établissements scolaires soulèverait des problèmes de liberté d’enseignement. Le deuxième aspect concerne la nature, la légitimité et les politiques intérieures du régime politique de la Chine, le rôle de l’État dans l’économie chinoise, de même que les valeurs et pratiques sociétales très différentes des nôtres. Sur une série d’enjeux qui vont des droits de la personne aux libertés publiques et démocratiques en passant par les politiques du travail, les Canadiens contestent non seulement certaines mesures spécifiques mais le rôle même de l’État chinois. Le troisième aspect touche les craintes suscitées par la montée en puissance de la Chine, son influence en Afrique et en Amérique latine, sa rapide modernisation militaire, la défense acharnée de ses frontières maritimes et la menace qu’elle pourrait présenter pour l’ordre international que le Canada a contribué à établir depuis la Seconde Guerre mondiale.
Toutes ces inquiétudes se traduisent par des sentiments plus négatifs au Canada qu’en Australie. Une récente étude des données de la FAPC sur les attitudes envers les accords de libéralisation des échanges avec différents pays est particulièrement éclairante. On y apprend que les Canadiens préfèrent commercer avec leurs alliés traditionnels, pays aux valeurs et institutions semblables comme les États-Unis et les membres de l’Union européenne. Quand il est question de partenaires asiatiques comme la Corée du Sud, l’Inde, la Chine et dans une moindre mesure le Japon, les Canadiens semblent peu ou mal informés. Par exemple, ils se disent préoccupés de la situation des droits politiques en Corée du Sud, où ces droits sont pourtant assurés de longue date. Les Australiens, beaucoup mieux informés, voient l’essor de la Chine comme une aubaine, surtout pour les secteurs riches en ressources de leur pays (Allen, 2015).
Les entreprises et experts canadiens directement liés à la Chine ont certes des réserves sur les valeurs et institutions du pays, mais ils font valoir l’importance de traiter avec les Chinois et de saisir les occasions de collaboration entre nos deux pays, malgré leurs divergences. C’est ainsi que des associations d’entreprises et de professionnels comme le Conseil d’affaires Canada-Chine, le Conseil canadien des chefs d’entreprise et Manufacturiers et Exportateurs du Canada étudient attentivement les possibilités d’échange avec les sociétés et l’État chinois, organisant des activités conjointes et lançant des projets, notamment des incubateurs, pour fournir des services aux petites et moyennes entreprises canadiennes désireuses de percer le marché chinois. Il en va de même pour certains groupes de recherche canadiens, qui s’efforcent d’élargir et d’approfondir leurs liens avec leurs homologues chinois par l’entremise d’échanges d’étudiants, de recrutement, de programmes conjoints de recherche et d’enseignement collaboratif.
L’ambivalence des Canadiens n’est pas sans incidence politique. Le négativisme peut se nourrir de lui-même, et cette vision craintive et ambiguë de la Chine influe sur nos échanges, empêche un dialogue équilibré, bloque toute planification à long terme, nuit au processus décisionnel et incite nos dirigeants à une prudence excessive. Sans l’appui de la population, et à moins d’un débat vif et informé sur notre position face à la Chine, les options du Canada pourraient se limiter à un arbitrage simpliste entre promotion du commerce et soutien aux droits de la personne. Cette frilosité pourrait se révéler encore plus contraignante si nos chefs de gouvernement partageaient et renforçaient cette ambivalence.
Il manque au Canada le leadership et le souci d’informer dont l’Australie a su faire preuve. Depuis une génération, les dirigeants australiens participent activement au débat public sur la Chine et l’Asie pour en expliquer l’importance, comme l’illustrent deux livres blancs, parus en 1989 et en 2012. Parfois acrimonieux mais généralement sain et fructueux, ce débat mobilise chercheurs et décideurs, représentants de la société civile, médias et entreprises. Tous les jours, la presse fait état de visions divergentes de la Chine et d’orientations alternatives sans susciter le scepticisme ni l’anxiété observés au Canada.
Le Canada peine à définir l’approche qui lui permettra d’approfondir ses liens avec la Chine tout en tenant compte des différences marquées entre les valeurs, institutions et orientations des deux pays, puis de gérer les risques et frictions d’une interaction renforcée. Or rien ne nous empêche de défendre nos grands intérêts en matière d’économie et de sécurité et de promouvoir simultanément les droits de la personne, la démocratie, la primauté du droit et d’autres valeurs indissociables de notre culture. Le défi consiste ici à soutenir l’évolution sociale et politique de la Chine tout en reconnaissant que la majorité des Chinois jugent leur système de gouvernance légitime, que le Parti communiste ne s’effondrera pas de sitôt et que l’avenir du pays sera différent du nôtre. Bref, que l’évolution de la Chine dépend essentiellement du peuple chinois.
Si la diversité des courants idéologiques, jugements d’opinion et expériences personnelles est peu propice à l’unanimisme, nous pouvons sûrement dégager un consensus durable fondé sur des attentes réalistes, des connaissances spécialisées largement diffusées et analysées, de même qu’une évaluation concrète des risques, possibilités et intérêts en jeu. Les valeurs canadiennes de liberté, de démocratie et de primauté du droit englobent la tolérance et l’acceptation des différences, l’ouverture d’esprit et les notions de « paix, ordre et bon gouvernement » inscrites dans notre Constitution. Des valeurs perpétuées par le dialogue, le compromis et la recherche de terrains d’entente.
Pour établir cette approche consensuelle, il faudra déployer une énergie considérable et miser à tous niveaux sur un solide leadership politique et intellectuel.
L’un des aspects les plus prometteurs de cette approche réside dans la possibilité d’une collaboration à long terme visant à tirer parti des remarquables complémentarités des deux économies. Peu de Canadiens semblent conscients du poids économique grandissant de l’Asie et de l’urgence d’étendre la présence canadienne dans les dynamiques marchés asiatiques. Ces marchés rivalisent désormais avec les États-Unis pour rafler le titre de plus importante région du globe où les entreprises internationales doivent s’imposer pour rester concurrentielles à l’échelle mondiale.
Les complémentarités économiques sont manifestes du côté des ressources énergétiques et naturelles, secteur où la Chine dépend des importations alors que le Canada possède d’abondantes richesses lui conférant un avantage concurrentiel en tant qu’exportateur. De surcroît, la Chine se tourne graduellement vers les sources d’énergie propres et la conservation des énergies renouvelables, un domaine où le Canada est de plus en plus innovant. L’approvisionnement en eau et en nourriture compte aussi parmi les priorités chinoises, et le Canada est un important producteur et exportateur de produits alimentaires. De même, le Canada fournit nombre de services dont la Chine a besoin, notamment dans le secteur de l’éducation, où il se classe au sixième rang des prestataires mondiaux. Les étudiants chinois composent d’ailleurs le tiers de la population d’étudiants étrangers au Canada (MAECD et Roslyn Kunin, 2012).
Le Canada tarde pourtant à miser sur ces possibilités. Et si les deux pays ont pris la mesure des avantages potentiels d’une mise à profit de leurs complémentarités, une analyse commune réalisée en 2012, l’Étude sur les complémentarités économiques du Canada et de la Chine, a été reléguée aux oubliettes4. Vu la profonde intégration économique et la proximité de leur pays avec les États-Unis, tout premier marché mondial, les Canadiens peuvent se montrer désinvoltes et supposer à tort que leur situation géographique et leurs richesses naturelles suffiront à préserver leur niveau de vie. Certains peuvent interpréter les manchettes sur le ralentissement de la croissance chinoise comme le présage d’une crise ou d’un effondrement du régime. Mais le Canada ne doit surtout pas délaisser la Chine à l’heure où justement elle entreprend les difficiles réformes qui assureront sa puissance à long terme.
Cette vision minimise aussi le dynamisme et le potentiel de toute l’Asie, de même que l’intensification de la concurrence pour conquérir ses marchés. Or la Chine est un acteur central des réseaux de production et de transport de la région, qui sont en plein essor, et des chaînes de valeur mondiales.
À elle seule, la Chine génère 40 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) asiatique. Mais bien qu’elle soit notre deuxième partenaire commercial, elle représente moins de 7 p. 100 de tous nos échanges (figure 1), soit moins de 4 p. 100 de nos exportations mais près de 12 p. 100 de nos importations5. Par comparaison, le Canada et les États-Unis entretiennent les plus vastes relations commerciales bilatérales du monde, même si les échanges sino-américains resserrent progressivement l’écart (figure 2). Le marché américain représente 65 p. 100 de nos échanges, soit près de 75 p. 100 de nos exportations et un peu plus de la moitié de nos importations. Mais le Canada demeure relativement invisible en Chine, dont il est le 18e fournisseur en importance, alors que l’Australie, au 6e rang, lui fournit près de 5 p. 100 de ses importations contre moins de 2 p. 100 pour le Canada6.
Il est particulièrement urgent pour le Canada de prioriser la Chine face à l’émergence de nouveaux concurrents et à l’essor de technologies perturbatrices. Les fournisseurs de ressources naturelles et de produits alimentaires qui convoitent les marchés de la Chine et d’autres grandes économies d’Asie doivent ainsi composer avec les accords de libre-échange (ALE) que la Chine a récemment conclus avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud, pays dont les exportateurs jouissent désormais d’un accès préférentiel au marché chinois, au détriment des exportateurs canadiens et autres.
En vertu de l’ALE Chine-Australie (ou ChAFTA), les Australiens bénéficieront de concessions dans les secteurs des viandes, des vins et des fruits de mer qui les aideront à conquérir des marchés où le Canada fait actuellement bonne figure. Selon les estimations de l’Australie, le ChAFTA pourrait accroître d’au moins 10 p. 100 les échanges sino-australiens, qui totalisaient 150 milliards de dollars australiens en 2013 et pourraient grimper jusqu’à 170 milliards (Sun, 2015). Si le Canada bénéficiait du même accès, ses échanges avec la Chine pourraient atteindre 90 milliards de dollars canadiens au fil du temps, par rapport aux 77 milliards de 2014, grâce à ses exportations de pâtes et papier, d’oléagineux, de métaux communs, de produits énergétiques et d’aéronefs.
Entre-temps, les producteurs chinois gravissent les chaînes de valeur des industries manufacturières et du secteur tertiaire, apprenant tout ce que le Canada sait faire. C’est ainsi que des entreprises chinoises s’internationalisent et décrochent des contrats que nous aurions pu remporter, comme celui du métro de Boston, qui a filé entre les doigts de Bombardier (Bloomberg Business, 2014). Le marché de l’énergie est lui aussi bousculé par des changements radicaux comme la fracturation hydraulique, une technologie perturbatrice inconnue il y a 10 ans à peine, qui modifient la dynamique de la demande américaine. Les États-Unis ont toujours constitué le plus important marché de notre industrie énergétique, mais la poussée de nouveaux combustibles liquides et la croissance de la production de gaz naturel pourraient faire de notre voisin du Sud notre plus grand concurrent, comme le croient déjà certains acteurs du secteur albertain de l’énergie.
En fait, le secteur de l’énergie pourrait changer la donne dans nos relations avec la Chine. Ce pays est en quête d’une sécurité d’approvisionnement, alors que nous recherchons une sécurité de la demande. Pour l’instant, le classement comparatif des fournisseurs d’énergie de la Chine et des autres pays d’Asie témoigne d’un écart entre notre rendement sur ces marchés et notre avantage concurrentiel. C’est ainsi que nos exportations d’énergie, essentiellement du charbon et quelques produits pétroliers, n’y totalisaient que 1,7 milliard de dollars canadiens en 2013 (Fondation Asie Pacifique du Canada, 2014).
Selon l’Energy Information Administration des États-Unis, la Chine occupe désormais le premier rang mondial des importateurs nets de pétrole et autres combustibles liquides (United States, 2015). Comme le soulignait le rapport 2012 du Groupe de travail sur l’avenir énergétique Canada-Asie de la FAPC, il suffit de constater l’important écart des prix entre l’Asie et l’Amérique du Nord pour prendre la mesure du potentiel des exportations de pétrole et de gaz dans l’ensemble du Pacifique. Le Canada réaliserait de substantiels gains économiques en obtenant un meilleur accès à ce marché. Selon le Groupe de travail, la Chine offre des débouchés à des entreprises de tout le pays : les firmes de l’Est qui possèdent une expertise hydroélectrique et nucléaire, les producteurs d’uranium de la Saskatchewan mais aussi de pétrole et de gaz naturel des provinces de l’Ouest et de l’Atlantique, sans compter les fournisseurs du secteur de la conservation, des énergies renouvelables et des technologies propres de tout le Canada. La hausse de nos exportations sur les marchés énergétiques de l’Asie pourrait aussi dynamiser les échanges de biens et services à la faveur de liaisons aux chaînes d’approvisionnement asiatiques, tout en réduisant à terme nos déséquilibres commerciaux, notamment avec la Chine. Cette croissance pourrait enfin produire d’intéressantes redevances et recettes fiscales pour les gouvernements canadiens et les Premières Nations.
La propreté de l’environnement figure en tête des priorités de la population et de l’État chinois. Des fournisseurs canadiens d’uranium et de technologies propres approvisionnent déjà la Chine en éoliennes et en équipement de réseaux électriques intelligents (McKinsey, 2014), ce qui favorise le positionnement de leur secteur face aux objectifs chinois de conservation et d’assainissement de l’espace urbain. La Chine s’est tournée vers l’énergie nucléaire pour réduire sa forte dépendance au charbon. La société Cameco Corporation, de la Saskatchewan, y a d’ailleurs décroché des contrats d’approvisionnement d’uranium de 5 et 10 ans. Mais ces succès restent mineurs par rapport aux débouchés potentiels.
La gestion des incidences environnementales de la production et de la consommation d’énergie pourrait aussi influer sur l’avenir des relations sino-canadiennes. Des groupes industriels comme l’Alliance canadienne pour l’innovation dans les sables bitumineux
(COSIA) étudient de nouvelles méthodes pour amoindrir les effets des sables bitumineux sur l’eau, l’utilisation des sols et les émissions de carbone. D’ici à 2022, la COSIA vise à réduire de moitié l’usage de l’eau dans l’extraction et le traitement des sables bitumineux (Cattaneo, 2015). De telles innovations pourraient intéresser des pays comme la Chine, où l’industrie extractive et plusieurs autres secteurs font face dans certaines régions à de graves pénuries d’eau. Les occasions d’exporter ces innovations devraient donc se multiplier dans les années à venir. Mais alors que la Chine et d’autres grands pays d’Asie intensifient leurs efforts en matière d’efficacité énergétique et de réduction des dommages environnementaux, ce créneau s’amenuise pour deux raisons clés : l’offensive de concurrents qui répondent déjà à la demande en combustibles fossiles de ces pays, et le recul appréhendé de cette demande sous l’effet du ralentissement de la croissance chinoise et de la lutte contre les changements climatiques.
Du côté de la sécurité alimentaire, autre grande priorité de la Chine, l’émergence d’une classe moyenne adoptant un régime riche en protéines et la pénurie d’aliments pour animaux transforment les schémas d’importation et d’investissement. La société McCain Foods, plus importante entreprise canadienne de produits alimentaires, est aux premières loges de cette évolution accélérée : elle a investi en 2005 dans une usine de transformation de la pomme de terre à Harbin, et en a doublé la superficie en 2013 pour répondre à une poussée exceptionnelle de la demande (Potato Pro, s.d.). Les objectifs de sécurité alimentaire de la Chine et la production relativement abondante de denrées par le Canada mettent en évidence la grande complémentarité des secteurs agricoles des deux pays. Pourtant, la Chine ne représentait en 2014 que 6,4 p. 100 des échanges de produits agricoles du Canada (Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2015).
À l’heure où la Chine modernise son agriculture, l’industrie agricole canadienne investit massivement dans des technologies et pratiques innovantes afin d’accroître sa productivité. Si la demande est forte du côté des viandes, poissons, fruits de mer et légumes, elle tire de l’arrière face à la croissance du marché des céréales et des oléagineux. Nos exportations de porc vers la Chine ont quintuplé de 2008 à 2012, tandis qu’une entreprise canadienne et une grande société chinoise d’élevage de porcins collaborent actuellement dans le domaine de la génétique porcine (McKinsey, 2014). Le secteur laitier présente un fort potentiel de croissance. Quatorzième producteur laitier du monde, le Canada exporte moins de 5 p. 100 de sa production. Par comparaison, les produits laitiers représentent le tiers des exportations de marchandises de la Nouvelle-Zélande, pour lesquelles la Chine est le premier marché (Wheeler, 2014). Ces occasions perdues pour le Canada s’expliquent par son système protectionniste de gestion de l’offre, qui a d’ailleurs été la cible de ses partenaires commerciaux dans les dernières négociations du Partenariat transpacifique (PTP).
Le potentiel à long terme des secteurs du transport et des infrastructures est aussi très élevé, d’autant plus que la Chine a entrepris d’améliorer les liaisons le long des historiques voies terrestres et maritimes reliant la Chine et l’Europe. L’importance politique de ce vaste effort est analysée à la section suivante. D’abord appelé « Route de la soie maritime » et « Ceinture économique de la Route de la soie », ce projet finalement baptisé « Une ceinture et une route » englobe deux réseaux, l’un terrestre (la ceinture), l’autre maritime (la route)7. Le président Xi Jinping en a fait l’annonce en novembre 2014 au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), tenu à Pékin, en précisant que la Chine investissait 40 milliards de dollars dans ce projet. Cette annonce a été suivie à la fin de mars 2015 par la création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), qui compte 57 membres d’Asie et d’Europe et bénéficie d’un engagement de capital chinois de 100 milliards de dollars. L’ampleur de cet engagement confirme la volonté de la Chine d’assurer le développement en Asie centrale et d’y favoriser une coopération économique de très longue durée. Même s’il n’était que partiellement mis en œuvre, cet immense projet ne pourra que favoriser l’intégration des pays pauvres d’Asie à l’économie mondiale. Or les entreprises canadiennes possèdent une expertise mondialement reconnue en technologies de transport terrestre et maritime, en construction, de même qu’en machineries et matériaux de construction. Mais si les débouchés sont substantiels, nos entreprises ne pourront les concrétiser sans approfondir leurs liens avec les chaînes d’approvisionnement asiatiques et sans que le Canada se joigne à la BAII.
Les perspectives de collaboration dans les services de transport sont tout aussi considérables. Le secteur chinois des services aériens étant déjà le deuxième au monde. De son côté, le Canada est le cinquième exportateur mondial de produits aérospatiaux et jouit d’un atout concurrentiel grâce à ses compétences en technique et en gestion. Il nous serait très avantageux d’obtenir ne serait-ce qu’une mince part des contrats que la Chine attribuera dans la prochaine décennie pour réaliser son projet de construction de 97 aéroports, dont plusieurs petits aéroports régionaux conçus pour des avions aux dimensions de ceux que fabrique Bombardier, sans compter les 35 000 kilomètres d’autoroutes et les 33 000 kilomètres de voies ferrées projetés (McKinsey, 2014).
Il existe des possibilités dans d’autres industries de services comme le tourisme, l’éducation, les soins de santé et l’environnement. Un demi-million de Chinois ont visité le Canada en 2013, selon une tendance qui devrait s’accentuer. D’après la société de recherche économique Euromonitor, le Canada arrivait en 2012 au 22e rang des destinations touristiques des Chinois, un classement très faible au regard de notre potentiel par rapport aux États-Unis, au Japon, à la France et à d’autres pays d’Europe, sans parler des destinations voisines de Hong Kong et Macao (Grant, 2013).
En matière d’éducation, le Canada est déjà une importante destination d’études. S’ils s’en remettent à leur système éducatif pour préparer leurs enfants aux examens nationaux, de nombreux parents chinois souhaitent les envoyer à l’étranger pour qu’ils y apprennent l’anglais et les connaissances culturelles qui en feront des leaders en Chine et dans le monde. D’ailleurs, nos établissements recrutent activement des étudiants chinois dans le cadre d’une stratégie fédérale visant à attirer 450 000 étudiants étrangers au Canada d’ici à 2022, par rapport aux 239 000 recensés en 2011 (MAECD, 2014).
Cet objectif pourrait toutefois être contrecarré par celui du gouvernement chinois, qui souhaite inverser l’exode de ses étudiants d’ici à 2020 en améliorant son système d’éducation et en faisant de la Chine elle-même une destination d’études. Le Canada doit se préparer à ce changement en multipliant ses services éducatifs à l’étranger. Mais il doit aussi remplacer son approche actuelle, fortement axée sur le recrutement, par un concept élargi privilégiant la prestation d’une éducation de qualité et incitant les jeunes Canadiens à étudier en Chine ou ailleurs en Asie. C’est d’ailleurs à cet effet que la FAPC prépare un programme concurrentiel de bourses d’études destiné à nos établissements d’enseignement, en vue de favoriser chez les étudiants, les jeunes professionnels et certaines autres groupes l’apprentissage des langues et des réalités asiatiques.
La possibilité d’exporter d’autres types de services ou d’investir en Chine dépend de la progression de la demande de la classe moyenne chinoise en matière de soins de santé, de services environnementaux, de transport et de services financiers, des domaines dans lesquels le Canada fait bonne figure. Il existe aussi un potentiel du côté des innovations canadiennes, dans la mesure où nous saurons les promouvoir sur le marché chinois. Pour ce qui est des services financiers, le Canada jouit d’une excellente réputation depuis qu’il s’est tiré presque indemne de la crise mondiale, mais aussi en raison de l’ampleur de ses caisses de retraite, qui diversifient leurs investissements partout dans le monde, y compris en Chine. Enfin, le Canada a créé le tout premier centre d’échange du renminbi (ou yuan) de l’hémisphère occidental pour faciliter les transactions en dollars canadiens et en renminbi. Il réagissait ainsi à l’ambition de la Chine d’utiliser plus largement le renminbi dans les transactions de commerce et d’investissement à faible risque, en vue de réaliser son objectif à long terme : faire du renminbi une devise mondiale pour réduire son éventuelle dépendance à l’égard du dollar américain.
Les complémentarités économiques du Canada et de la Chine sont également manifestes dans l’important domaine des avoirs de production nécessaires au commerce entre nos deux économies et avec nos pays voisins. En tant qu’investisseurs à l’étranger, de grandes sociétés canadiennes comme Manuvie, Sun Life, la Banque de Montréal, Bombardier ou SNC Lavalin ont établi de longue date des réseaux de filiales chinoises et asiatiques. Manuvie, par exemple, est active en Chine depuis 1897 et a fondé en 1996 une coentreprise avec Sinochem, la Manulife-Sinochem Life Insurance Company, dont l’empreinte géographique au pays est plus importante que toute autre coentreprise étrangère. Récemment, les caisses de retraite canadiennes ont acquis des actions et des biens immobiliers de sociétés ouvertes et fermées asiatiques. Mais le stock d’investissements directs étrangers (IDE) du Canada en Asie est nettement inférieur aux investissements canadiens aux États-Unis, qui représentent près de la moitié de tous les IDE canadiens (tableau 1).
Les rentrées d’investissements chinois au Canada ont rapidement augmenté de 2008 à 2014 (figure 3), mais elles ne représentent qu’environ 6,5 p. 100 du stock total d’IDE au Canada (contre près de la moitié pour les États-Unis). Les IDE chinois au Canada font l’objet d’un débat autour de trois questions : l’appartenance des entreprises, qui est jugée préoccupante, puisqu’on craint que les décisions des sociétés d’État soient dictées par des facteurs politiques plutôt que commerciaux ; le principe d’accès au marché, selon lequel notre accès au marché chinois devrait être le même que celui des investisseurs chinois au marché canadien ; les craintes en matière de sécurité nationale. Si les questions d’accès et de sécurité sont relativement bien comprises, celle des sociétés d’État reste litigieuse. Longtemps, les sociétés d’État ont été dominantes parmi les investisseurs chinois (par exemple, elles ont effectué à ce jour la totalité des principaux investissements et acquisitions au Canada, surtout dans les secteurs énergétique et minier, qu’elles dominent aussi en Chine). Mais depuis 2007, des entreprises privées chinoises investissent aussi dans des entreprises canadiennes de minéraux et de charbon, de produits chimiques, d’énergie solaire et d’équipement de télécommunications8.
Ces entreprises privées, qui augmentent en nombre et en taille, sont une source de concurrence absolument nécessaire sur le marché intérieur et mondial. Les industries de services chinoises, longtemps dominées par les sociétés d’État, s’ouvrent à la concurrence des entreprises non étatiques. Et s’il fait peu de doute que les sociétés d’État seront maintenues dans les secteurs jugés stratégiques ou considérés comme des monopoles naturels (ce qui est aussi pratique courante dans les pays de l’OCDE), leur gestion devient de plus en plus indépendante de leur appartenance publique. Graduellement, on y intègre aussi des méthodes de gouvernance plus modernes, et le dessaisissement des actifs des sociétés (publiques) de gestion des biens est soumis à de rigoureuses normes de transparence. De sorte que l’État chinois est désormais perçu comme un producteur de biens collectifs, par exemple de logement social, ou un bon fournisseur d’approvisionnement en électricité et de canaux de communication. Il en va de même des méthodes comptables et pratiques de vérification externe, qui gagnent progressivement en indépendance et en transparence9.
Malgré tout, la question des investissements chinois divise l’opinion canadienne. À la fin de 2014, nous en avons discuté avec quelques acteurs industriels, pour qui les sociétés d’État chinoises « gérées par le gouvernement » sont « différentes des nôtres, appliquent leurs propres règles » et ont encore « beaucoup à apprendre ». De telles réserves inquiètent nos producteurs jeunes et innovants, dont les écosystèmes d’innovation dépendent des investissements étrangers. Les restrictions imposées par le Canada aux IDE refroidissent l’ardeur de ces jeunes producteurs et diminuent leurs possibilités d’obtenir du capital-risque ou de trouver des acheteurs. D’autres grandes sociétés canadiennes ou multinationales établies tendent à acquérir ces petites entreprises pour les ajouter à leur portefeuille mondial, ce qui peut freiner l’essor des plus novatrices, sauf si elles réussissent à concurrencer d’autres sociétés de ces portefeuilles. L’un de nos interlocuteurs a même observé : « Les investisseurs étrangers potentiels (comme les Chinois) ne voient plus l’intérêt d’investir au Canada. »
D’autres de nos interlocuteurs, issus de grandes entreprises, ont insisté sur l’exigeante courbe d’apprentissage que doivent suivre les investisseurs chinois. Car si leurs objectifs commerciaux sont semblables à ceux d’autres multinationales, leur compréhension des régimes de réglementation et des règles de conduite des pays hôtes est très différente. Nos entreprises devraient ainsi sensibiliser leurs partenaires chinois aux connaissances qui favoriseront leur mondialisation. L’une des approches qu’elles peuvent utiliser, la « méthode de la fermeture éclair », consiste à intégrer pleinement les entreprises chinoises à des partenariats stratégiques en différents points de la chaîne de valeur mondiale. S’il peut être long de négocier les modalités de tels partenariats, ils peuvent donner lieu à de bons rendements et à une sécurité d’approvisionnement.
L’Asie traverse un stade d’évolution géopolitique d’une aussi grande portée que le tournant européen de l’après-guerre. La domination et le leadership des États-Unis jouent un rôle clé en Asie depuis la guerre du Pacifique, mais la prééminence des Américains y est aujourd’hui activement disputée par la Chine. « Avec la montée de la Chine, affirme un ancien premier ministre australien, nous assistons à l’équivalent géopolitique de la fonte de la calotte polaire. La glace s’amincit lentement, elle se fissure, et un jour ou l’autre une plaque immense se détache avec fracas. » (Rudd, 2015, p. 1 [traduction libre]).
La concurrence géostratégique entre les États-Unis et la Chine est une nouvelle réalité internationale qui impose aux deux pays de gérer les liens difficiles, essentiels et extrêmement complexes qui les unissent. Les Asiatiques sont en quête du leadership, des institutions et des normes qui leur assureront de réussir une périlleuse transition et de gérer les problèmes soulevés par une série de zones de conflit, de tensions bilatérales et de menaces à la sécurité humaine, qui vont du terrorisme à l’extrémisme en passant par les armes nucléaires. Tous ces problèmes nécessitent des solutions collectives et sont aggravés par la résurgence des nationalismes, par des enjeux historiques non résolus et par l’absence d’institutions de sécurité efficaces.
Les transitions de pouvoir de cette ampleur se déroulent rarement sans affrontements militaires. Et le dilemme des Asiatiques consiste à soutenir une présence continue des Américains tout en composant pacifiquement avec les Chinois au sein d’un ordre régional de plus en plus déterminé par la Chine, mais pas uniquement par elle. Un conflit n’est donc pas inévitable. On peut minimiser les risques d’antagonismes fortuits ou de rivalité effrénée. Mais la profonde interdépendance économique de l’Asie n’est pas en soi un gage de stabilité. Toute stabilité durable découlera plutôt d’un choix délibéré, de même que d’une judicieuse diplomatie bilatérale et d’institutions régionales plus efficaces.
Le Canada est touché par cette évolution et doit saisir l’occasion de jouer un rôle constructif qui serait tout aussi profitable à la région de l’Asie qu’à ses propres liens avec la Chine et les États-Unis.
Depuis l’établissement des relations diplomatiques avec la Chine en 1970, jamais la politique du Canada à l’égard de ce pays n’a été directement liée à l’objectif géostratégique visant à réduire l’isolement du géant asiatique. Il y a maintenant 35 ans que les gouvernements prétendent œuvrer pour la paix et la sécurité en favorisant la participation de la Chine aux institutions internationales comme les Nations unies et l’Organisation mondiale du commerce, et plus récemment en créant le G20. Mais la situation actuelle est extrêmement fluide et soulève plusieurs choix difficiles. Comment décoder les intentions d’une Chine plus puissante et affirmée, qui est intégrée aux institutions existantes mais fonde simultanément ses propres institutions ? Quelle position doit adopter le Canada face à la complexité grandissante des relations sino-américaines ? Comment redéfinir notre rôle de puissance moyenne en fonction de nos intérêts nationaux mais aussi des intérêts de l’Asie ?
Encore récemment, la Chine considérait que les institutions, normes et accords établis par l’Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis solidement affermis par les États-Unis, correspondaient globalement à ses propres intérêts. Des intérêts qu’elle a discrètement défendus en participant de façon généralement constructive aux Nations unies, aux institutions commerciales et financières mondiales et aux forums de pays dirigeants comme le G20. En matière d’efforts internationaux, elle s’est montrée tout aussi responsable que les autres grandes puissances face à des enjeux comme les changements climatiques, les catastrophes naturelles, les actes de piraterie ou les pandémies. La Chine affiche un solide bilan de conformité aux traités qu’elle a signés et de participation aux programmes internationaux qu’elle a contribué à mettre sur pied, par exemple les opérations de maintien de la paix. Sur le plan régional, elle a été active dans la quasi-totalité des institutions de l’Asie-Pacifique, qu’il s’agisse de l’APEC ou des processus parrainés par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) comme les réunions élargies des ministres de la Défense de l’ANASE (premier forum de sécurité de la région, par lequel l’ANASE et ses huit partenaires de dialogue visent à renforcer la coopération en défense et en sécurité) et le Sommet de l’Asie de l’Est. Elle a signé des ALE avec l’ANASE, la Nouvelle-Zélande et, plus récemment, avec la Corée du Sud et l’Australie. Enfin, elle a participé aux négociations du Partenariat économique global régional et s’est jointe à l’ambitieuse initiative de Zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique de l’APEC.
Mais l’ordre mondial ne se réduit pas à l’ordre économique néolibéral actuel. Les modifications et ajustements proposés par la Chine servent ses propres intérêts tout en traduisant les réalités d’une mutation des pouvoirs. Si la Chine vise à devenir un interlocuteur responsable dans les affaires internationales, elle devient en même temps un créateur tout autant qu’un acquéreur de règles.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, le président Xi Jinping a modifié l’approche de gestion des relations bilatérales de la Chine avec des puissances comme les États-Unis, la Russie et le Japon, de même que l’approche chinoise des institutions régionales. Les grands axes de sa politique étrangère sont tour à tour qualifiés d’actifs, affirmatifs et offensifs. Les dépenses militaires de la Chine augmentent rapidement, tout comme le raffinement et la portée de ses capacités militaires. Non seulement la Chine parraine des forums de sécurité comme l’Organisation de coopération de Shanghai, mais elle en a aussi créé un nouveau, la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA). Aucun de ces deux forums ne comprend la participation des États-Unis. La Chine a aussi défendu plus agressivement ses revendications dans les conflits maritimes territoriaux, surtout dans les mers de Chine méridionale et orientale, ce qui suscite une grande anxiété dans toute la région, qui va au-delà des enjeux immédiats de souveraineté et d’intégrité territoriale. Certains craignent en effet qu’une Chine plus puissante cherche à régler de vieux comptes, à établir une sphère d’influence et à contourner le droit international.
Comme on l’a vu, le projet « Une ceinture et une route » vise à intégrer, au moyen d’importants investissements chinois dans les infrastructures, plusieurs pays pauvres de l’Asie à l’économie mondiale. La Chine finance directement ce projet et parraine aussi la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), en marge d’un effort concerté pour renforcer son influence internationale et, comme certains le croient, lancer un défi stratégique aux États-Unis. D’autres soulignent les risques financiers de cet immense projet à long terme et la possibilité que ses participants moins importants cherchent à se prémunir contre l’emprise chinoise en se rapprochant de grandes nations comme les États-Unis. La création de la BAII en tant qu’institution financière internationale a surtout été décidée en réaction à l’incapacité de longue date du Congrès américain de soutenir la décision des actionnaires du Fonds monétaire international d’adapter ses droits de vote au rôle croissant de la Chine et des économies de marché émergentes dans l’économie mondiale. Mais elle a eu pour conséquence involontaire d’intensifier la concurrence stratégique.
Cette intensification est palpable jusque dans les efforts de coopération sino-américains autour d’enjeux mondiaux, les changement climatiques par exemple, ou régionaux, comme la Corée du Nord. Nul ne souhaite évidemment d’affrontement militaire, mais la Chine n’en récuse pas moins la prééminence des États-Unis. Le tournant ou le recentrage de Washington vers l’Asie se veut une réponse aux craintes suscitées dans la région par ce défi. Tous les pays affirment qu’un ordre fondé sur des règles et une stabilité stratégique est indispensable à un dynamisme économique durable. Mais une question demeure : qui définira ces règles et par l’entremise de quels réseaux institutionnels ?
Les dirigeants d’Asie ne veulent en aucun cas être forcés par les Chinois ou les Américains de choisir leur camp. La plupart souhaitent le maintien d’une forte présence des États-Unis, même s’ils reconnaissent que l’ère de la domination économique américaine est révolue. Le débat porte plutôt sur la forme d’ordre de sécurité régionale et d’architecture institutionnelle qui saura favoriser la coopération économique, satisfaire aux intérêts fondamentaux de la Chine, maintenir la présence américaine et gérer le rééquilibrage stratégique en cours.
Les proches partenaires du Canada dans la région — États-Unis, Australie, Japon et Corée du Sud — privilégient tous des politiques axées sur un engagement soutenu ou élargi en Asie, une protection contre la montée de la Chine et des mesures visant à contenir son influence diplomatique et militaire. L’administration Obama renforce systématiquement ses relations militaires avec ses alliés, tout en augmentant les capacités navales américaines et en rappelant avec vigueur que les règles soutenues par son pays doivent prévaloir dans la région. En dehors de la Maison-Blanche, les opinions varient. Certains préconisent une stratégie globale visant à équilibrer et à contrer le pouvoir grandissant de la Chine10. D’autres réclament d’urgence un effort politique de haut niveau pour élaborer un cadre stratégique commun, qui permettrait de bâtir la confiance nécessaire à une action collaborative axée sur la défense et le règlement d’intérêts et de problèmes communs (Rudd, 2015, p. 25).
Le gouvernement canadien n’a toujours pas élaboré ou sérieusement débattu la position et les mesures qu’il doit adopter face aux répercussions stratégiques de la montée en puissance de la Chine. Historiquement, le Canada a parfois joué un rôle constructif et même créatif dans les enjeux de sécurité en Asie, notamment par la voie du dialogue et de la diplomatie, beaucoup plus rarement par la voie militaire, comme ce fut le cas en Afghanistan. Il maintient une coopération militaire limitée avec le Japon, la Corée du Sud et Singapour, mais sans alliance officielle. Le Canada est membre de regroupements régionaux comme l’APEC, dont la vocation est essentiellement économique, et le Forum régional de l’ANASE, axé sur la sécurité. Il a tenté sans succès d’intégrer les Réunions élargies des ministres de la Défense de l’ANASE et le Sommet de l’Asie de l’Est. Ses liens avec la Chine sont ponctuels, maintenus par l’entremise d’échanges bilatéraux relativement fréquents et anciens entre fonctionnaires de la Défense d’Ottawa et de Pékin, mais aussi par des rapports directs et parfois publics avec des représentants chinois au sujet d’allégations de cyberattaques commanditées par leur gouvernement.
Dans l’ensemble, l’engagement et la voix du Canada sur les questions de sécurité en Asie-Pacifique ont sensiblement faibli. Il y plus de 10 ans qu’Ottawa n’a fait aucune déclaration d’importance ou actualisé son analyse du contexte de sécurité et de l’équilibre des pouvoirs dans la région. Il en va de même pour la collaboration avec ses partenaires régionaux : il s’est joint à des campagnes antiterroristes et aux efforts ciblant les passeurs de clandestins, mais n’a fait aucune proposition de fond depuis plus d’une décennie. Dans les années 1990, il avait pris l’initiative de forums de « diplomatie officieuse » regroupant experts non gouvernementaux et hauts fonctionnaires agissant en leur nom propre, qui ont traité d’enjeux comme la sécurité coopérative et la gestion d’éventuels conflits en mer de Chine méridionale, et plus tard de questions liées à la sécurité humaine, dont les mines antipersonnel et la responsabilité de protéger. Du côté de ses activités navales, le Canada faisait parfois acte de présence dans certains ports d’Asie et participait à des exercices régionaux. Depuis, nos capacités navales dans le Pacifique ont beaucoup diminué.
Ce silence et cette moindre visibilité nuisent à notre crédibilité et expliquent en partie le peu d’intérêt suscité par notre présence dans les rencontres de dirigeants. Nombre d’observateurs asiatiques soulignent que le Canada n’est plus considéré comme un partenaire vraiment intéressé par la région. Nos capacités et notre engagement en faveur du programme de sécurité de l’Asie sont régulièrement mis en cause. Enfin, beaucoup perçoivent le Canada comme un acteur peu investi et de faible influence, distant, réactif et centré sur ses seuls intérêts économiques.
Certes, le silence stratégique du Canada peut préserver les options, éviter les affrontements et privilégier les occasions d’affaires. Contrairement à d’autres pays plus fortement assujettis au champ gravitationnel de l’économie chinoise, le Canada n’est pas confronté au « dilemme chinois », qui l’obligerait à choisir son camp en cas de conflit direct entre la Chine et les États-Unis. En vérité, nous n’aurions pas le luxe du non-alignement ou de la neutralité en cas de rivalité sino-américaine, car Pékin sait parfaitement que nous prendrions le parti de nos alliés américains.
La vraie question réside plutôt dans la capacité et la volonté du Canada de collaborer avec d’autres pays pour prévenir les erreurs, les incidents et les dérives susceptibles de provoquer des conflits. Pour ce faire, nous devons restaurer nos états de service et notre rôle de puissance moyenne. Même durant la guerre froide, quand le Canada campait fermement du côté de l’Occident et prenait les armes contre la Chine et la Corée, on jugeait profitable à long terme d’intégrer la Chine à la communauté internationale. Ottawa a d’ailleurs tablé sur ce calcul en nouant des relations diplomatiques avec la Chine dès 1970, soit plusieurs années avant les États-Unis. Puis il a privilégié la création d’institutions multilatérales et la médiation de conflits, préconisant pour l’Asie des mécanismes de coopération sécuritaire inspirés de ceux qui avaient nivelé en Europe les divergences nées de la guerre froide.
Le rôle et les défis des puissances moyennes ont changé en ce xxie siècle. La Chine n’est plus un simple membre de la communauté internationale, elle en est un leader reconnu pour sa réussite économique et son ouverture sociétale, malgré une insuffisante libéralisation politique. Traditionnellement, le rôle du Canada a consisté à rapprocher les grandes puissances, non pas à exacerber leurs divergences. Pour trouver un terrain d’entente, il faut aujourd’hui prendre des décisions judicieuses, notamment quant aux moyens d’adapter les règlements et institutions aux perspectives et intérêts des puissances montantes de l’Asie, au premier chef la Chine. Le Canada pourrait favoriser cette transition d’un ordre fondé sur la prééminence des États-Unis, qui ne peut plus perdurer tel quel, vers le nouvel ordre en voie de formation. Après avoir contribué à l’extinction de la guerre froide en Europe, nous devrions aujourd’hui nous consacrer à prévenir une autre guerre froide en Asie.
Outre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, un nouveau groupe de puissances moyennes asiatiques comme la Corée du Sud, l’Indonésie et la Malaisie partagent désormais des visions et des intérêts sensiblement analogues. Le débat régional sur la conception d’institutions individuelles s’est déplacé vers la forme de leadership et le type de régime de sécurité les mieux adaptés à la région. Quels changements les grandes puissances doivent-elles opérer pour maximiser la conciliation, favoriser la modération et rassurer les pays de la région ? Quelles instances sont les plus propices à l’élaboration des normes, règlements et pratiques d’un nouvel ordre sécuritaire ?
Il faut aussi compter avec une dimension de sécurité non traditionnelle. Car les programmes régionaux des institutions multilatérales comprennent désormais la coopération et l’aide humanitaire, les secours en cas de catastrophe et les opérations de recherche et sauvetage. La société civile canadienne possède la réputation, la crédibilité et les ressources nécessaires pour jouer un rôle dirigeant auprès de la Chine et d’autres pays sur des enjeux comme la gestion de l’eau, l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets, la prévention des maladies infectieuses et la gestion des tensions transfrontalières, y compris dans l’Arctique.
Mais le silence persistant du Canada, qui produit l’impression d’un pays assistant en spectateur à l’évolution de la région, compromet ses ambitions économiques à long terme. Un affrontement militaire direct entre les grandes puissances régionales, ou même une nouvelle guerre froide contre la Chine, aurait des conséquences dévastatrices sur les chaînes de valeur mondiales et les intérêts commerciaux canadiens. À moins d’être un acteur multidimensionnel, le Canada serait exclu des initiatives visant à neutraliser les rivalités ou à établir des règles et un cadre d’action pour la région. Et même en optant pour une approche réactive, il nous faudrait l’articuler de telle façon que nos partenaires sachent à quoi s’en tenir.
L’approche optimale réside dans un engagement approfondi. Nos intérêts sont mieux servis par un ordre fondé sur des règles et des institutions ouvertes que par des structures rivales ou des mécanismes axés sur des valeurs, comme le sont les alliances de démocraties. Les concurrences interrégionales risqueraient de favoriser la création de blocs exclusifs menés par la Chine ou les États-Unis, ce qui pourrait convenir à ceux qui pensent encore en termes de rivalité stratégique et d’équilibre des pouvoirs. Cette vision étroite pourrait pourtant leur faire rater l’occasion historique de générer les avantages collectifs indispensables au renforcement d’une économie asiatique dynamique et profondément intégrée.
Comme l’Australie en a fait l’expérience, il n’est guère facile de s’interposer entre Washington et Pékin. Moins encore depuis que la Chine multiplie les projets forts et audacieux. Il est difficile pour les petits pays de retenir l’attention quand les grandes puissances occupent tout l’espace. Mais en se joignant à d’autres, le Canada devrait susciter cette attention.
Le Canada doit accroître sa présence en Asie et sa collaboration avec la Chine. Face au caractère indissociable des politiques d’économie et de sécurité, il doit se doter d’un cadre d’action à long terme global et audacieux, qui décrit clairement ses objectifs et renforce son orientation économique tout en l’engageant à participer à la gestion du contexte sécuritaire en mutation de l’Asie.
Ce cadre doit reposer sur certains principes. Il doit traverser les générations en incitant nos gouvernements successifs, de toute affiliation politique, à assurer son application suivant une approche multi-acteurs. Il doit donner priorité à la Chine. Il doit fonder son approche sur nos propres intérêts mais aussi sur l’examen éclairé de nos objectifs économiques et sécuritaires à long terme. Et il doit prendre en compte cette réalité clé : nous traiterons avec la Chine non pas à nos seules conditions mais selon l’évolution de son système politique, économique et social, qui repose sur des valeurs et institutions différentes des nôtres.
Selon le principe directeur qui devra nous guider, nous chercherons un terrain d’entente et ferons valoir nos intérêts communs tout en traitant nos divergences dans le respect mutuel. C’est précisément en raison d’une histoire, de valeurs et d’institutions différentes que nos liens avec la Chine doivent faire l’objet d’un leadership stable et imaginatif qui nous permette d’approfondir notre compréhension des enjeux et de susciter les occasions d’initiatives à la fois communes et conformes à nos intérêts.
Un leadership au sommet de l’État est indispensable à l’établissement de relations à long terme avec les dirigeants de la Chine et des autres pays d’Asie. Plus que partout en Occident, les liens clés entre pays asiatiques reposent sur les relations interétatiques assurées par les présidents et premiers ministres.
Le Canada a reconnu dès 1970 la légitimité du gouvernement communiste chinois. Les deux pays ont signé en 2005 un accord de partenariat stratégique. Pour faciliter les échanges, d’autres accords officiels ont été conclus dans des secteurs comme le tourisme, les services financiers, les transports, les sciences et les technologies. Le Canada a aussi créé un centre d’échange du renminbi et signé un protocole d’entente sur la coopération environnementale et nucléaire. Le gouvernement canadien a adopté en 2013 son Plan d’action sur les marchés mondiaux, qui cible particulièrement les économies de l’Asie-Pacifique (MAECD, 2013b), et il a mis en œuvre l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers en 2014. Tous les ans, plusieurs ministres fédéraux et premiers ministres provinciaux se rendent en Chine.
En dépit de ces démarches et de ces récentes initiatives, le Canada n’est toujours pas pris au sérieux, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord parce que notre orientation n’a rien de stratégique et qu’elle se limite essentiellement à nos intérêts commerciaux. Plusieurs de nos homologues asiatiques ont indiqué qu’ils attendent du Canada qu’il s’engage aussi sur les questions de sécurité. Ils évoquent volontiers l’histoire de notre présence en Asie, par exemple notre participation à la guerre de Corée, il y a plus de 60 ans, le soutien que nous avons apporté au processus des pourparlers à six sur la Corée du Nord, au début des années 1990, et notre collaboration avec l’Indonésie aux discussions régionales sur la gestion d’éventuels conflits en mer de Chine méridionale. Mais à la fin des années 1990, la politique d’austérité d’Ottawa a nécessité des compressions qui ont réduit la portée de notre engagement aux seuls domaines essentiels à nos intérêts nationaux. À l’heure où les enjeux de sécurité de l’Asie franchissent une nouvelle étape, le Canada doit clairement y renforcer son engagement s’il souhaite étendre et approfondir ses liens économiques.
Nos relations bilatérales avec la Chine ne peuvent donc être menées efficacement sans engagement de nos plus hauts dirigeants. Pour prendre en compte tout ce qui distingue les systèmes des deux pays, une attention politique soutenue doit être accordée à la tenue de rencontres régulières de haut niveau ainsi qu’à l’élaboration et à l’exécution de programmes d’échange et de compréhension réciproques. D’autres pays appliquent de tels mécanismes bilatéraux, comme le Dialogue économique et stratégique Chine-États-Unis ou le Comité de gestion Chine-Singapour, dont le volet chinois est dirigé par l’un des sept membres du Comité permanent du Bureau politique, tout premier organe décisionnel chinois. En outre, d’importants dirigeants australiens, allemands et britanniques non seulement accompagnent des missions commerciales en Chine, qui donnent souvent lieu à des contrats majeurs, mais aussi favorisent directement la confiance et la compréhension en resserrant les liens avec des villes, citoyens et entreprises. Ce qui amène ces pays à collaborer avec la Chine sur de vastes enjeux mondiaux et géopolitiques.
Pour imaginer les résultats d’une approche approfondie, il suffit de se tourner vers l’Australie, qui exerce aujourd’hui dans la région une influence nettement supérieure à son poids économique (qui correspond aux deux tiers de l’économie canadienne). Il y a bientôt 30 ans, le gouvernement australien a mené une vaste étude économique et politique des perspectives en Asie du Nord-Est. En 1989, le rapport qui en a résulté dressait un tableau détaillé du potentiel de la région et recommandait de profonds changements politiques que tous les gouvernements suivants, quel que soit leur parti, ont effectivement mis en œuvre au plus haut niveau (Garnaut, 1989). Les Australiens estiment que leurs relations avec les États-Unis (auxquels ils sont liés par une alliance militaire) et avec les économies asiatiques sont parfaitement complémentaires. Les dirigeants australiens ont d’ailleurs déployé d’importants efforts pour maintenir des relations personnelles avec ceux de l’Asie, et pour améliorer leurs capacités en matière de diplomatie, de recherche et d’éducation auprès des principales économies asiatiques. Les Australiens ont aussi activement proposé de nouvelles idées aux institutions régionales, à commencer par l’APEC, dès la fin des années 1980. Le gouvernement a créé en 2010 l’Australian Centre on China in the World. Puis en 2012, la première ministre Julia Gillard a publié le livre blanc Australia in the Asian Century, qui préconise une approche multi-acteurs (Australia, 2012). En juin 2015, l’Australie avait ainsi conclu des ALE avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud, ses trois plus importants partenaires commerciaux.
En ce qui concerne la proximité des grands marchés mondiaux, la situation du Canada et de l’Australie est évidemment très différente. À nos portes se trouve le marché le plus vaste et le plus prospère du globe, dont nous partageons l’essentiel des valeurs et des institutions, sans parler d’une langue commune. Les grands marchés les plus proches de l’Australie sont la Chine et l’Inde. Et tout comme les Canadiens sont conscients de l’importance d’entretenir d’excellentes relations avec leur voisin du Sud, les Australiens savent qu’ils doivent s’entendre avec la Chine, et maintenant avec l’Inde. Pour eux, comprendre la Chine est devenu une obligation existentielle. Puisque les Canadiens n’ont pas su prendre la mesure de cette priorité, ils se retrouvent désavantagés à l’heure où le centre de gravité économique de la planète se déplace vers l’Asie.
En novembre 2014, la visite du premier ministre Stephen Harper en Chine, afin d’établir un dialogue des ministres des Affaires étrangères, a constitué une étape utile pour redresser la situation. Un dialogue économique et stratégique, annoncé simultanément, examinera aussi les possibilités d’une coopération plus étroite. Chinois et Canadiens tiendront deux rencontres, l’une dans chaque pays, et produiront un rapport. Une initiative certes intéressante, mais de moindre portée que les efforts consentis par d’autres pays occidentaux, qui tiennent tous les ans des réunions entre chefs d’État.
Le cadre des relations du Canada avec la Chine devrait prévoir un nouvel engagement de soutien au développement d’institutions régionales qui serviront les intérêts des pays d’Asie soucieux de préserver leurs liens de sécurité avec les États-Unis, tout en conciliant les intérêts grandissants de la Chine dans ses relations de sécurité avec ses voisins. Même si nos intérêts sont fortement déterminés par la proximité du Canada avec les États-Unis, une escalade des tensions en Asie nuirait aux intérêts à long terme de tous les acteurs mondiaux. La meilleure voie réside donc dans un programme de sécurité redynamisé qui privilégie nettement l’édification d’institutions régionales. Le Canada pourrait influer sur le contenu d’un tel programme, à condition de participer activement à son élaboration.
Notre participation active à des initiatives intergouvernementales de cette importance repose en partie sur l’adoption d’une nouvelle approche axée sur la coordination interne des activités de tous les ordres de gouvernement, y compris les municipalités, et d’autres intervenants comme le monde de l’éducation, la société civile et les milieux d’affaires. C’est donc une approche à volets multiples qui servirait le mieux nos intérêts nationaux. Au lieu d’attendre que leurs gouvernements réagissent, les Canadiens devraient s’informer et profiter des occasions à saisir. Une attitude que les gouvernements devraient encourager, comme le font d’ailleurs à leur façon certains premiers ministres provinciaux.
Parallèlement, la Chine doit faire l’objet d’une attention prioritaire au niveau national, où des spécialistes et des groupes d’experts ont déjà proposé qu’un comité du Cabinet soit chargé d’orienter, de coordonner et d’évaluer les priorités administratives en vue d’unifier l’action des ministères fédéraux autour d’une série d’objectifs communs (Mulroney, 2015 ; McKinsey, 2014). Nous ne pouvons qu’applaudir à cette idée.
Ottawa devra concevoir et appliquer un mécanisme qui rassemble tous les intervenants clés. Les Canadiens doivent comprendre que leur pays est bel et bien une nation de l’Asie-Pacifique, mais qui tarde à réfléchir et à agir en conséquence. Des rencontres périodiques ou annuelles pourraient aider à coordonner autour d’objectifs à long terme les actions des nombreux acteurs répartis entre les différentes capitales d’Asie. Les premiers ministres des trois provinces de l’Ouest canadien ont déjà commandé des rapports d’experts en vue d’établir leurs stratégies et leurs objectifs. En regroupant leurs recommandations pour arriver à formuler une stratégie concertée, on franchirait assurément une étape constructive.
Le tableau de la collaboration économique entre le Canada et la Chine révèle un potentiel largement inexploité. Et les ALE récemment conclus par la Chine avec nos concurrents ajoutent à l’urgence d’un engagement renforcé. Cette collaboration pourrait prendre plusieurs formes. Par exemple, nos grandes caisses de retraite pourraient participer au capital d’entreprises agricoles canadiennes et chinoises visant à accroître la production alimentaire et à promouvoir l’innovation. On pourrait aussi créer des mécanismes au Canada en vue d’intégrer des contrats d’approvisionnement à long terme d’aliments et d’énergie, dans le cadre traditionnel du commerce transfrontalier de biens et services.
Dans le domaine de la sécurité énergétique, la collaboration dépend en grande partie de la capacité du Canada de réduire les goulots d’étranglement. En 2012, le Groupe de travail sur l’avenir énergétique Canada-Asie de la FAPC avait recommandé aux gouvernements d’ouvrir un corridor public de transport d’énergie, géré comme une société d’État mais exploité par le secteur privé. Il s’agirait d’un moyen novateur d’examiner et de prendre en compte les multiples intérêts liés aux nouveaux pipelines en Colombie-Britannique. Une action collective menée au nom de l’intérêt national doit primer sur les intérêts individuels. On pourrait élaborer le cadre d’action collective proposé de façon à minimiser les risques, à maximiser les gains publics et à répartir équitablement les avantages. Ce qui ne réduirait pas les difficultés politiques liées à la gestion de l’utilisation des sols et au respect des droits des Premières Nations. Mais en renonçant à toute initiative, on priverait toutes les parties prenantes des avantages d’une occasion majeure de collaboration.
L’intérêt de la Chine pour les énergies propres pourrait aussi donner lieu à d’importants projets bilatéraux. L’Ouest canadien commence à produire de réelles innovations en matière de gestion de l’énergie et de l’environnement. En raison de ses vastes régions déficitaires en eau, la Chine pourrait notamment s’intéresser à de nouvelles technologies conformes aux cibles de la COSIA et permettant de réduire de moitié l’utilisation de l’eau dans l’exploitation des sables bitumineux.
Dans les infrastructures et les transports, les entreprises canadiennes disposent d’atouts concurrentiels en vue des nombreux projets d’infrastructures et de voierie annoncés en 2014 et en 2015 dans le cadre du programme « Une ceinture et une route ». Ces initiatives pourraient mener à de fructueuses collaborations à long terme, y compris en lien avec nos propres investissements dans des projets comme la Porte et le Corridor de l’Asie-Pacifique (un vaste système d’infrastructures de transport amorcé en 2007). Toujours à condition de nous manifester et d’accroître notre engagement. Nos entreprises devraient tout mettre en œuvre pour se joindre aux chaînes de valeur chinoises et asiatiques liées à ces projets.
Il nous faut aussi intégrer d’autres chaînes d’approvisionnement pour répondre à la demande de services spécialisés d’une classe moyenne chinoise en plein essor. D’autant plus que les fournisseurs canadiens font très bonne figure dans ce domaine, totalisant plus d’un million de petites et moyennes entreprises, dont beaucoup dans les industries de services. Mais seulement 41 000 d’entre elles exportent leurs services, essentiellement aux États-Unis (MAECD, 2013a [2014]). L’ambitieuse priorité à l’exportation du Plan d’action sur les marchés mondiaux du Canada, qui vise à soutenir jusqu’à un millier de nouveaux exportateurs par année, est un pas dans la bonne voie (MAECD, 2013b). Notre participation aux négociations des 12 pays du PTP, afin d’intégrer les chaînes de valeurs asiatiques mais aussi de préserver notre accès à l’immense marché japonais, est également prometteuse.
Nous devrions en outre fixer des objectifs de 5 et 10 ans du côté des flux bidirectionnels d’échanges et d’investissements. En matière d’échanges, il nous faudrait doubler d’ici à 2020 la valeur de nos exportations vers la Chine, avec une cible de 40 ou 50 milliards de dollars par rapport aux 21 milliards de 2013. Ces exportations supplémentaires pourraient créer plus de 2 millions d’emplois. Il serait plus complexe de viser la même cible pour nos IDE sortants, puisque l’effort relève de la stratégie des entreprises. Dans la mesure où les IDE entrants sont déterminés par le régime de réglementation canadien, il faudrait établir un processus transparent d’examen des meilleures pratiques avant toute détermination d’objectifs.
À la fois opaque et restrictif, notre système de sélection des IDE constitue un obstacle majeur. Une décision de décembre 2012 interdit ainsi aux sociétés d’État d’acquérir une participation majoritaire dans les entreprises canadiennes de sables bitumineux « sauf dans des circonstances exceptionnelles ». Venant s’ajouter aux critères d’avantages nets et au filtrage de sécurité nationale, déjà fort opaques, cette décision a causé l’effet dissuasif dont nous avons parlé et a désavantagé l’industrie énergétique alors même que chutaient les prix du pétrole. Notre régime d’investissement est non seulement l’un des plus restrictifs, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, s.d.), mais il est aussi contre-productif : même en limitant uniquement les investissements des sociétés d’État, il pourrait par ricochet inciter beaucoup d’investisseurs privés chinois à renoncer au Canada.
Les restrictions imposées aux IDE entrants ont des conséquences nuisibles à long terme : moindres pressions concurrentielles sur les entreprises canadiennes, hausse des coûts du capital, démotivation d’investisseurs incertains de franchir les processus d’approbation, coûts de transaction plus élevés que dans les pays aux systèmes plus prévisibles et transparents. Surtout, elles dissuadent les acteurs de capital-investissement, qui lorgnent alors les grandes sociétés plutôt que de tenter des investissements plus risqués dans de petites entreprises souvent innovantes, tout comme elles réduisent l’accès des petits acteurs canadiens aux chaînes d’approvisionnement mondiales des acteurs majeurs. Les grandes entreprises gardent pourtant le silence, tandis que ces grands acteurs semblent satisfaits de leur situation protégée.
Nous devons rationaliser notre processus de sélection des investissements pour qu’il s’insère dans un système unique relevant de la compétence d’Industrie Canada. La question stratégique du contrôle de nos ressources naturelles est largement prise en compte par le fait qu’elles sont la propriété des provinces et sont soumises aux règles d’exportation de l’Office national de l’énergie. La focalisation sur la question de la propriété est malvenue. Non seulement cela laisse croire à la Chine qu’elle n’est pas la bienvenue au Canada, bien qu’elle soit la première réserve mondiale de capitaux, mais de plus l’accent ainsi mis sur les sociétés d’État traduit une vision dépassée du pays. En fait, on devrait plutôt se concentrer sur les pratiques des entreprises. Le Canada possède des régimes de réglementation éprouvés dont l’application permet de surveiller et d’influencer les pratiques des entreprises en matière de juste concurrence, de gestion financière et de conformité aux lois et règlements relatifs au traitement des travailleurs et à la protection de l’environnement.
Nous devrions enfin définir des objectifs d’engagements réciproques de personne à personne, par exemple dans le cadre d’associations amicales ou de jumelages de villes, et inciter nos étudiants à apprendre une langue asiatique, comme le font beaucoup d’étudiants australiens.
Les ALE récemment conclus par la Chine avec l’Australie et la Corée du Sud, qui dénotent sa volonté de libéraliser son système de commerce bilatéral, devraient nous servir d’avertissement11. Compte tenu du retard relatif qu’il accuse face à la libéralisation des échanges dans la région, le Canada dispose de deux options. La première consiste à soutenir et à promouvoir l’inclusion de la Chine dans la prochaine ronde des pourparlers du PTP, qui devrait suivre la ratification de l’entente par les gouvernements et législatures de ses 12 pays actuels. Les officiels chinois ont étudié le PTP et certains y voient l’occasion de réussir à faire passer de difficiles réformes, notamment des changements aux sociétés d’État, en les imputant aux pressions étrangères créées lors de telles négociations.
Mais il pourrait être long de préparer une deuxième ronde de pourparlers si la Chine, la Corée du Sud et la Thaïlande (et sans doute l’Indonésie) devaient y participer. Or le Canada devrait profiter de ce délai pour amorcer des négociations commerciales directement avec la Chine. Les ALE avec l’Australie et la Corée du Sud montrent qu’au-delà des réductions tarifaires sur les biens, la Chine est prête à des assouplissements sur de nombreux services et investissements. Chaque accord touche le Canada, mais comme nous l’avons vu, celui de l’Australie repose sur des concessions bilatérales susceptibles de nous priver de débouchés. Signalons ici que l’Australie, qui restreint les activités des sociétés d’État, n’a fait aucune concession sur ce point et en paie le prix sous forme d’accès limité à d’autres secteurs clés (Australia, 2015).
Le Canada doit aussi collaborer à la création de la Zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique, une idée qu’il a mise en avant à l’APEC il y a maintenant plus d’une décennie. Et il devrait défendre ses intérêts économiques à long terme en participant aux immenses projets d’infrastructures du programme chinois « Une ceinture et une route ».
Après son refus de se joindre aux pays fondateurs de la BAII, le Canada devrait aujourd’hui revenir sur sa décision afin d’y soutenir de façon constructive les normes et modes de gouvernance les plus avancés, ce qui correspondrait à ses intérêts stratégiques en favorisant le multilatéralisme chinois. Le principal effet de la réticence initiale du Canada sera sans doute de nature économique, surtout si cela vient freiner l’accès des entreprises canadiennes à d’importants contrats d’infrastructures à long terme.
Il existe plusieurs façons de restructurer nos relations avec la Chine, à commencer par l’action de nos hauts dirigeants. Pour apaiser les inquiétudes de la population, ils pourraient favoriser le dialogue sur les craintes et préoccupations face au poids international de la Chine, son opposition à certaines politiques et institutions, et sa présence grandissante au Canada. Le tout pourrait se faire dans le cadre de débats publics sur les occasions à saisir en Asie et en Chine, mais aussi sur les risques et problèmes qu’elles peuvent soulever.
Ce dialogue national pourrait être amorcé par d’importants leaders des secteurs public, privé et éducatif, et reposer sur le simple objectif de discuter de la Chine pour faire le point sur ses particularités et certaines questions litigieuses comme le rôle des Instituts Confucius, les règles d’investissement étranger et la hausse du prix des maisons censément causée par les acheteurs chinois. On pourrait ainsi surmonter les résistances en ciblant clairement les problèmes (par exemple, l’incidence des forces du marché et des politiques d’utilisation des sols sur l’augmentation du prix des maisons) et en favorisant le débat sur les moyens de les atténuer.
Diverses initiatives locales peuvent aussi éclairer l’opinion canadienne. On pourrait notamment tirer des leçons de la Conversation nationale sur l’Asie, organisée par la FAPC, qui a attiré un certain nombre de nouveaux et jeunes participants. L’étape suivante consisterait à proposer des moyens d’action et des recommandations dans le cadre de forums dirigés permettant aux citoyens d’interagir avec des experts qui décrivent les enjeux à considérer, la façon de gérer les risques et les sources d’irritation, et les solutions de compromis envisageables.
Il n’est aucunement besoin de taire nos différences en matière de valeurs, d’institutions et de pratiques. Certains Canadiens préconisent de travailler directement avec la société civile et les agents de changement chinois. Mais la Chine a récemment adopté des lois et directives visant à restreindre l’influence étrangère et les activités non surveillées des organisations non gouvernementales. En faisant preuve d’imagination, nous pouvons tout de même favoriser le renforcement des capacités chinoises, notamment au regard des profonds changements en cours dans le système judiciaire en vue d’accroître l’indépendance de la magistrature. Nos établissements éducatifs et spécialisés peuvent se concerter pour mettre à profit d’importantes contributions passées du Canada, en ce qui concerne par exemple la formation des magistrats chinois. Entre autres possibilités, nous pourrions aussi faire valoir des innovations en gouvernance et des solutions aux problèmes environnementaux.
L’initiative de la FAPC invitant les jeunes Canadiens à développer leurs « compétences asiatiques » offre une base sur laquelle nous appuyer. Les universités et collèges pourraient intensifier la recherche et accroître les échanges d’étudiants, notamment par l’entremise de programmes d’éducation coopérative et d’enseignement en Chine. Les secteurs public et privé devraient aussi collaborer à l’amélioration de la qualité et à la diffusion d’une recherche et d’un enseignement qui renforcent la compréhension et les connaissances de la population.
Il serait tout aussi souhaitable d’apporter des solutions éducatives aux questions suscitées par les différents environnements d’affaires de la Chine et du Canada. Les écoles techniques et commerciales devraient proposer aux gestionnaires chinois des cours sur les règlements et les régimes de réglementation canadiens. De même, on pourrait offrir à nos propres responsables des cours sur les deux contextes réglementaires. Quant à nos entreprises, elles devraient consentir les investissements nécessaires à une meilleure connaissance de l’activité des entreprises chinoises sur les marchés internationaux et des possibilités offertes par la Chine, en recrutant des dirigeants qui possèdent l’expérience, les qualités et l’expertise requises en la matière.
Les risques croissants d’instabilité politique en Asie nécessitent que toutes les grandes nations de l’Asie-Pacifique s’investissent dans les institutions de sécurité coopérative régionales. Si les alliances et les démarches de chaque pays sont essentielles au maintien de la stabilité, de solides institutions multilatérales restent le meilleur moyen de maximiser les avantages économiques et d’assurer une paix durable dans cette région extrêmement diversifiée. Pour jouer un rôle dans l’élaboration de cette architecture et de cet ordre institutionnels, le Canada doit se doter d’une politique de sécurité clairement structurée.
Cette politique devrait comprendre les éléments suivants :
Le Canada doit intensifier sa présence et son engagement en Asie, et prioritairement en Chine. Pour ce faire, il doit élaborer un cadre global d’action à long terme, axé sur ses relations bilatérales avec la Chine. L’élection d’un nouveau gouvernement canadien est l’occasion idéale de relancer notre engagement au plus haut niveau de l’État, selon l’approche multi-acteurs que nous recommandons.
L’approche actuelle, qui souffre d’une absence de leadership et ne s’inscrit dans aucun cadre d’action à long terme, est focalisée sur nos seuls intérêts économiques dans un continent complexe et multidimensionnel dont l’avenir sera en partie dicté par la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis. Face à ce déplacement géostratégique, le Canada doit réexaminer ses certitudes et prendre conscience que sa proximité avec les États-Unis de même que ses abondantes ressources naturelles ne garantiront pas éternellement sa prospérité.
Le Canada peut investir plusieurs créneaux pour approfondir ses liens avec la Chine. L’un d’eux englobe la demande chinoise en matière de sécurité alimentaire, de ressources naturelles et de sources d’énergie ; la demande d’une classe moyenne émergente dans toute la Chine et ses pays voisins pour de meilleurs services dans les secteurs du tourisme, des soins de santé, de l’éducation et des services financiers et environnementaux ; et l’immense programme chinois d’infrastructures « Une ceinture et une route », qui s’étend à l’Asie centrale et pourrait offrir d’importantes occasions d’affaires.
Un autre créneau englobe l’ensemble de l’Asie, grande région où nous devons partout accroître notre présence. Le Canada a reconnu dès 1970 le régime communiste chinois et a longtemps participé activement à des initiatives régionales. Mais il se tient aujourd’hui à l’écart et est presque invisible dans la région. Face à l’intensification de la rivalité stratégique sino-américaine, les puissances moyennes de l’Asie craignent de devoir tôt ou tard choisir leur camp. Elles s’efforcent donc de renforcer leurs institutions économiques et de sécurité pour resserrer leur coopération en marge de la concurrence que se livrent les deux géants mondiaux. Le Canada servira ses intérêts à long terme en apportant une solide contribution à la stabilité de la région et en s’associant à d’autres pays pour prévenir d’éventuels conflits qui nuiraient à ses intérêts économiques.
Cet appel à l’action est dicté par l’urgence. Nos débouchés et possibilités pourraient vite s’amenuiser alors même que nos concurrents s’activent pour répondre à la demande énergétique et alimentaire de la Chine, que la croissance chinoise ralentit et que la lutte contre les changements climatiques accélère la mise à l’écart de nos sources d’énergie conventionnelles. L’occasion de rétablir une présence crédible du Canada en Asie pourrait aussi s’amoindrir si nous ne participons pas activement à la création d’un ordre régional intégrant à la fois la Chine et les États-Unis.
Nous ne pouvons plus envisager notre future prospérité avec désinvolture ni supposer que la paix et la stabilité relatives de l’Asie se maintiendront éternellement. Par nécessité mais aussi pour saisir une chance historique, le Canada doit faire du renforcement de ses liens avec la Chine la pièce maîtresse d’une approche globale et ambitieuse du xxie siècle. Ne dit-on pas de celui-ci qu’il sera le siècle asiatique ? Soutenus par notre dynamisme, notre créativité et un solide cadre d’action, nous pourrions même en faire le siècle de l’Asie-Pacifique.
Désolé, cet article est seulement disponible en Anglais.
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Montréal – Après une décennie d’engagements sporadiques à l’égard de la Chine, Ottawa doit définir et mettre en œuvre une approche ambitieuse et globale des relations sino-canadiennes, préconise les auteurs d’un essai que l’IRPP publie en partenariat avec la Munk School of Global Affairs.
La Chine reste une énigme pour la plupart des Canadiens, qui tardent à saisir toutes les répercussions que l’émergence de cette puissance mondiale pourrait avoir sur leur pays. D’où l’importance d’un leadership gouvernemental pour sensibiliser la population et renforcer notre engagement, affirment les éminents experts Wendy Dobson et Paul Evans.
« Nous avons besoin d’une stratégie à long terme qui va au-delà de nos objectifs économiques immédiats », soulignent les deux auteurs, qui exhortent le nouveau gouvernement fédéral à redéfinir l’approche canadienne en intégrant l’ensemble des enjeux commerciaux, sécuritaires et diplomatiques.
Ils formulent à cet effet les principales recommandations suivantes :
Il ne sera guère facile de rétablir de solides relations avec la Chine, notent les auteurs. Le premier ministre Justin Trudeau devra notamment apaiser l’inquiétude grandissante des Canadiens face au géant asiatique, révélée par plusieurs enquêtes d’opinion. Tout en misant sur la participation des provinces et des chefs d’entreprise, cette approche nécessitera donc de sensibiliser le grand public aux réalités de la Chine et à l’importance d’établir avec elle des liens plus étroits.
« Les valeurs et les institutions chinoises sont différentes des nôtres, reconnaissent les auteurs, mais nous devons améliorer notre compréhension de la Chine et composer avec son évolution. La défense de nos propres valeurs et de nos institutions figure d’ailleurs parmi les éléments clés d’une relation complexe qu’il nous faut approfondir et non limiter. » Mais il est devenu urgent d’agir, concluent-ils, et nous ne pourrons appliquer cette nouvelle approche sans le plein engagement d’Ottawa.
On peut télécharger L’avenir des relations Canada-Chine, de Wendy Dobson et Paul Evans, sur le site de l’IRPP (irpp.org/fr).
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Renseignements : Shirley Cardenas, tél. : 514 594-6877, scardenas@nullirpp.org
Prime Minister Justin Trudeau and China’s President Xi Jinping met for the first time at the G20 Summit on the weekend. Before the end of the month, they will meet again at the APEC summit and at the UN Climate Change Conference.
While Pierre Trudeau had extensive Chinese experience before assuming office in 1968, our new Prime Minister does not. And the Chinese have no experience of him.
China was not mentioned in the Liberal election platform or in the Leaders’ foreign policy debate. But it should be no surprise that a fresh wind will be blowing in bilateral relations. After a decade of inconsistent, conflicted and incremental policies of the Stephen Harper government the time has come for creative thinking, a more strategic approach and national leadership.
The timing is good. In September, Mr. Xi’s U.S. visit symbolized China’s role as a peer, highlighted cooperation on climate change but resolved few of the difficulties in Sino-American relations. Australia is ratifying a free-trade agreement with Beijing.
Britain and China embarked on a new “global comprehensive strategic partnership” amidst the pomp and splendour of a majestic state visit to Britain. The Queen spoke of a “truly global partnership” and their joint roles as “stewards of the rules-based international system.” The David Cameron government clinched a series of trade and investment deals that are part of a longer economic game. Earlier in the year the British government broke ranks with the G7 to sign up for Beijing’s Asian Infrastructure and Investment Bank.
The British shift reflects a new calculation about the changing balance of power in Asia and realpolitik thinking in which no country is an eternal ally or a perpetual enemy. London’s special relationship with the United States continues, even though the timing of the shift with China coincides with deepening China-U.S. tensions in cyber space and the South China Sea.
As much as a new Canadian approach to China is needed it would be a mistake to believe that the clock can be wound back to the engagement approach of earlier Canadian governments or that we can simply emulate the British government’s shift marked by a singularly economic focus. Canada needs an entirely new approach to China, based on a three-pronged strategy.
First, Canada should adopt a collaborative approach to our complementary economic interests: Canada has what China needs for energy, natural resources and food security and services for its growing middle class. Twinning energy and environment could be a signature feature. Australians will out-compete us unless we move on a bilateral free-trade agreement.
Secondly, Canada should play a proactive middle-power role in the Asia-Pacific region by deepening our partnerships with Australia’s new Prime Minister, Indonesia and South Korea. We should begin with a defence and security review and active assistance for institution building and rules needed to manage the strategic rebalancing underway.
Finally, we must protect and support Canadian values while finding ways to help build Chinese capabilities consistent with the evolving legal system and building on valued Canadian contribution in the past in education and two-way flows of people.
This strategy demands a new kind of leadership that informs Canadians of the importance of the relationship and coordinates a whole-of-country approach while consolidating high-level dialogues with the Chinese leadership.
Mr. Trudeau will face the challenge in Canada of addressing public anxieties about deeper bilateral engagement. Worries about differing business and regulatory practices, behaviour of about state owned enterprises and purchases of urban real estate imply the need for an informed national conversation about realizing the opportunities and managing the risks.
Canadians need a new narrative of engagement. The existing argument of assisting economic opening and promoting China’s involvement in international institutions as ways to speed political liberalization has been not been borne out – at least not yet. The reality is that we must learn to live with China as it is while standing up for our own values and institutions.
A new whole-of-country approach to Canada’s China policy will require time to implement. But in the coming month our new Prime Minister has the opportunity to strike a constructive and imaginative tone for what will follow.
Wendy Dobson is Professor at the Rotman School of Management at the University of Toronto, and Paul Evans teaches Asian and Transpacific Relations at the University of British Columbia. They are the co-authors of ‘The Future of Canada’s Relationship with China’, published by the Institute for Research on Public Policy.