Ce texte a été traduit de l’anglais
Les échanges et les investissements internationaux sont indispensables à la prospérité du Canada. Mais un ensemble de politiques appliquées de longue date dans ces deux domaines se heurtent aujourd’hui à de nouvelles réalités mondiales, parmi lesquelles la montée du protectionnisme économique. Le système commercial international se trouve ainsi à un carrefour décisif qui nous impose d’examiner ces réalités inédites et les moyens de relever les défis qu’elles posent. Cet ouvrage collectif, fruit d’une vaste recherche interdisciplinaire de l’Institut de recherche en politiques publiques, regroupe les travaux innovants de plus de trente experts de huit pays, qui analysent l’incidence de l’évolution et des tendances émergentes du commerce mondial, des technologies et du pouvoir économique sur le Canada et ses politiques publiques.
Les auteurs proposent un examen approfondi de la politique commerciale du Canada du point de vue des entreprises et se penchent sur l’intégration des échanges au sein de chaînes de valeur mondiales. Ils mettent en avant un rigoureux cadre d’analyse fondé sur de nouvelles données empiriques et traitent de plusieurs enjeux majeurs, qu’il s’agisse des nouveaux modèles d’affaires qui dictent la fragmentation et la globalisation de la production, des changements technologiques qui favorisent l’expansion des nouvelles entreprises exportatrices ou du déplacement de l’activité économique vers les marchés émergents qui disperse le pouvoir mondial et ajoute à la complexité des négociations commerciales. Dans leur conclusion, les directeurs présentent les principaux résultats de recherche et proposent un ambitieux programme de priorités politiques.
À l’heure de la profonde transformation de l’environnement commercial international, cet ouvrage passionnera ceux qui s’intéressent aux grands enjeux de la mondialisation tout autant qu’à l’avenir économique du Canada.
L’économie canadienne étant relativement petite et ouverte, sa croissance et sa prospérité dépendent essentiellement des échanges et des investissements internationaux, alors même que les approches et les objectifs stratégiques établis depuis longtemps se heurtent à de nouvelles réalités mondiales. Mais s’il faut renforcer la collaboration internationale pour accroître les capacités de production, dynamiser la consommation et stimuler l’innovation, des signes inquiétants laissent penser que la montée du protectionnisme en plusieurs points du globe puisse menacer cette collaboration. Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le plus important partenaire commercial du Canada a entamé une vaste réévaluation de ses politiques commerciales en cherchant à reconfigurer les échanges mondiaux au profit des entreprises et des travailleurs américains. Vu l’ampleur des enjeux suscités par la complexité et l’évolution rapide de cette conjoncture inédite, il est indispensable d’en analyser les conséquences en profondeur pour adopter de judicieuses mesures politiques.
Dans cet ouvrage issu d’un projet de recherche pluriannuel de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), 31 spécialistes et chercheurs du pays et de l’étranger examinent l’incidence sur la conjoncture et les politiques canadiennes des changements structurels à long terme et des nouvelles tendances en matière de commerce international, de technologie, de forces économiques et de pouvoir géopolitique. Plusieurs questions interdépendantes sont abordées, comme les nouveaux modèles de gestion nés de la fragmentation et de la mondialisation de la production, la hausse des échanges sous forme d’intrants intermédiaires et de services de même que d’investissements directs étrangers, les changements technologiques et leurs répercussions sur la nature et la provenance des échanges commerciaux, et le déplacement de l’activité économique vers les marchés émergents, phénomène qui dissémine les pouvoirs et pose de nouveaux défis pour l’économie canadienne mais aussi pour les négociations commerciales internationales et la gouvernance mondiale.
L’ouvrage a trois principaux objectifs. Il vise d’abord à produire de nouvelles données empiriques, puis à définir un cadre analytique permettant d’étudier l’incidence de ses conclusions. Il propose enfin une série de politiques à la fois prospectives, prioritaires et soigneusement conçues, afin de favoriser la croissance et la productivité de l’économie canadienne. Dans ce chapitre initial, nous résumons les conclusions de nos collaborateurs, établies pour la plupart au cours des années 2015 et 20161. Dans le chapitre final, nous considérons les résultats et l’incidence de leurs travaux dans le contexte politique du début de 2017, en résumant leurs recommandations à la lumière des derniers événements.
L’ouvrage comprend cinq parties. Les deux premières, qui traitent des échanges à l’échelle des entreprises et des chaînes de valeur mondiales, définissent le cadre global d’analyse, décrivent les nouveaux schémas d’intégration du Canada à l’économie mondiale et expliquent cette évolution sous l’angle des dernières avancées de la recherche universitaire. La troisième partie examine l’incidence de ces nouvelles réalités planétaires sur l’élaboration des politiques commerciales du Canada. Signalons que tous les chapitres de ces trois parties constituent des documents de recherche à part entière, produits par des spécialistes européens et nord–américains de l’économie, du commerce international, du droit et des politiques publiques, ainsi que des chercheurs de différents think tanks et organismes gouvernementaux. La quatrième partie regroupe sous forme de courts chapitres les commentaires d’experts et d’intervenants. Enfin, les directeurs de l’ouvrage présentent dans la cinquième partie un résumé des initiatives de recherche et des grandes priorités en matière de politiques.
Dans la première partie de l’ouvrage, les auteurs examinent la politique commerciale du Canada du point de vue des entreprises. Si la théorie du commerce des années 1980 et 1990 privilégiait les secteurs d’activité, ce qui supposait une forte similitude entre les entreprises d’un même secteur, celle du XXIe siècle met plutôt l’accent sur les entreprises. Et cette nouvelle approche a révélé d’importantes différences, ou une grande hétérogénéité, aussi bien entre les entreprises de chaque secteur qu’entre leurs principales activités (comme l’exportation et l’innovation) et leurs mesures de performance (comme la productivité). Or ces différences peuvent déterminer les chances de réussite sur le marché intérieur et international, tout comme elles peuvent expliquer que certains types d’entreprises réagissent différemment à l’évolution des politiques commerciales et de l’environnement des échanges, ce qui permet de mieux comprendre les effets distributifs du commerce sur les entreprises et les travailleurs. Les chapitres de cette partie soulignent les liens étroits entre commerce et productivité, l’importance des questions de redistribution et les avantages des politiques qui réduisent les frais fixes de participation aux marchés internationaux.
Beverly Lapham
Dans le premier chapitre de cette partie, Beverly Lapham examine les récentes avancées des modèles théoriques de commerce et leur incidence politique. Elle privilégie l’important modèle de Marc Melitz, qui met l’accent sur l’hétérogénéité et les décisions des entreprises, tout en faisant ressortir ce qu’il en coûte en frais fixes pour accéder aux marchés étrangers, mais aussi la nécessité d’engager ces frais en amont et la nature incertaine de cet investissement. Selon les prédictions du modèle — confirmées au Canada et dans de nombreux pays —, les entreprises exportatrices sont souvent plus grandes et plus productives que les entreprises non exportatrices. En fait, selon l’un de ses principaux indicateurs, seules les entreprises les plus productives jouissent de la rentabilité nécessaire pour assumer les frais d’accès aux marchés étrangers. Résultat : seules les « meilleures » peuvent exporter (il y aurait donc une « autosélection positive » à l’exportation), même si l’on observe de plus en plus clairement que les échanges peuvent aussi stimuler la productivité.
Le modèle de Melitz aide non seulement à déterminer quelles entreprises font du commerce et pourquoi, mais aussi à établir une nouvelle voie qui permet aux politiques commerciales de stimuler la productivité d’un pays en déplaçant les ressources économiques destinées aux entreprises peu productives vers les entreprises à forte productivité. Quand l’accès aux marchés étrangers s’améliore, les entreprises productives qui priorisaient jusque-là leur marché intérieur se tournent vers -l’étranger pour accroître leur production, comme le font déjà les exportateurs. À l’inverse, les entreprises peu productives battent en retraite face à l’intensification de la concurrence étrangère et aux taux salariaux plus élevés de leur pays. Selon une estimation détaillée des effets de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, plus de 60 p. 100 des gains de productivité du secteur manufacturier canadien (après réductions tarifaires) sont ainsi attribuables à ce type de restructuration industrielle plutôt qu’à la croissance intra-entreprise.
L’auteure examine aussi les derniers prolongements du modèle, notamment des travaux qui modélisent les complémentarités exportation-importation susceptibles d’accroître la productivité d’une entreprise, le recours aux investissements directs étrangers plutôt qu’aux exportations pour servir les marchés étrangers, les liens entre le commerce et l’innovation, l’incidence des échanges sur le marché du travail (entre autre l’accentuation potentielle de l’inégalité salariale) et le rôle du commerce dans la réduction des marges sur les prix de vente par rapport aux coûts de production. Ces études montrent que nos décideurs doivent être plus attentifs à l’incidence des politiques commerciales sur les négociants actuels ou potentiels, les flux d’échanges et les effets distributifs du commerce sur les entreprises et les travailleurs. Elles montrent aussi l’importance d’établir des politiques qui réduisent les frais fixes de participation aux marchés internationaux, de même que la nécessité de mieux coordonner les politiques commerciales traditionnelles (comme les tarifs douaniers et les négociations) et les politiques non traditionnelles étroitement liées aux échanges (par exemple pour accroître la productivité et l’innovation).
John Baldwin et Beiling Yan
John Baldwin et Beiling Yan démontrent dans ces deux chapitres que les données d’entreprises canadiennes permettent l’examen empirique des liens étroits entre commerce et productivité, déjà mis en évidence dans le chapitre de Beverly Lapham sur la théorie du commerce. Dans le chapitre « Le commerce et la productivité », ils présentent tout d’abord les éléments clés indiquant qu’en termes agrégés, les échanges commerciaux rapportés au produit intérieur brut (PIB) du Canada et la productivité des entreprises suivent une courbe très semblable depuis quelques décennies. Ils utilisent ensuite les données d’entreprises pour mettre en relief les microvecteurs qui sous-tendent ces liens macroéconomiques. Et ils en tirent trois conclusions, toutes conformes à la théorie : la pratique et l’intensité des exportations augmentent avec la taille des entreprises ; les exportateurs contribuent davantage à l’activité économique (de 1974 à 2010, leur productivité du travail dépassait de 13 p. 100 celles des entreprises non exportatrices du secteur manufacturier) ; les importations sont une grande source de gains de productivité car elles donnent accès à des intrants moins chers et de meilleure qualité (de 2000 à 2007, pas moins des deux tiers de notre productivité multifactorielle effective provenaient d’autres pays).
Baldwin et Yan précisent toutefois que les avantages liés à l’accès à de nouveaux marchés n’ont rien de systématique : les particularités de l’entreprise et certains facteurs macroéconomiques, notamment les variations des taux de change qui influent sur la compétitivité des exportateurs, peuvent en atténuer l’ampleur. Les entreprises qui réussissent à l’étranger sont en général plus flexibles et plus innovantes, et créent plus souvent de nouveaux produits et processus. Les investissements jouent aussi un rôle clé et peuvent expliquer que les plus forts gains de productivité se produisent souvent du côté des nouveaux arrivants sur les marchés d’exportation, qui en général croissent plus rapidement que les exportateurs plus expérimentés. Beaucoup d’entreprises qui pénètrent de nouveaux marchés accumulent du capital et investissent dans les technologies de pointe, la formation et la recherche-développement, des activités qui favorisent l’apprentissage et l’adoption des meilleures pratiques internationales. Les grands marchés, qu’ils soient internationaux ou interprovinciaux, peuvent également faire accroître leur productivité en les amenant à spécialiser leur production, à faire des économies d’échelle et à mieux utiliser leurs capacités.
Dans le chapitre « La participation aux chaînes de valeur mondiales », les auteurs analysent comment la participation des entreprises aux chaînes de valeur mondiales (CVM, décrites dans la deuxième partie de l’ouvrage) influe sur leur productivité. À partir d’un riche ensemble de données recueillies de 2002 à 2006 auprès de plus de 30 000 entreprises manufacturières canadiennes, ils définissent les entreprises participant aux CVM comme étant celles qui importent des biens intermédiaires et exportent des biens intermédiaires ou finaux, puis examinent comment évolue la productivité de celles qui entrent et sortent des CVM.
Selon leurs conclusions, de solides données empiriques confirment un lien de causalité entre CVM et productivité. Parmi les entreprises manufacturières canadiennes aux caractéristiques analogues, celles qui ont intégré les CVM ont connu une plus forte hausse de productivité. Observé dès la première année, cet avantage s’est accentué au fil du temps. Les gains les plus importants ont été réalisés par celles qui exportaient déjà vers des économies avancées. En revanche, les entreprises qui ont quitté les CVM en cessant d’importer ou d’exporter ont vu leur productivité baisser. Ce recul s’est manifesté plus lentement, mais la perte de productivité équivalait au bout d’une année aux gains réalisés par les nouvelles participantes. Parmi les entreprises ayant quitté les CVM, celles qui ont connu les pertes les plus importantes et les plus immédiates avaient cessé d’importer des économies en développement. Les effets des CVM, positifs chez les entreprises qui s’y joignent et négatifs chez celles qui en sortent, étaient statistiquement significatifs et économiquement pertinents, comme l’indique l’écart moyen de 8 à 9 p. 100 de leurs taux de productivité au bout de quatre ans.
Les auteurs documentent soigneusement les parcours d’entreprises canadiennes qui entrent et sortent des CVM, puis font le tri des gains de productivité attribuables aux exportations et aux importations parmi celles qui mènent des échanges bilatéraux. Ils montrent ainsi que les entreprises qui se joignent aux CVM sont surtout des importatrices qui commencent à exporter, alors que la plupart des entreprises qui en sortent ont mis fin au volet exportation de leurs échanges bilatéraux. Ils montrent de surcroît que les gains de productivité découlant des exportations sont à la fois plus importants et plus durables que l’effet positif des importations.
L’analyse de Baldwin et Yan indique donc que les mesures facilitant la participation aux CVM doivent occuper une place centrale dans le programme canadien d’échanges commerciaux et de productivité (comme s’en font l’écho d’autres chapitres, dont ceux de Lapham et de Van Assche). Elle s’applique aussi à l’objectif d’accroissement des exportations canadiennes vers les marchés émergents : les gains de productivité réalisés en se joignant à des CVM qui comprennent des marchés émergents pourraient être inférieurs à ceux qui émanent de CVM comprenant des économies avancées. Les pertes de productivité risquent ainsi de survenir plus rapidement s’il y a rupture des liens commerciaux avec ces derniers marchés.
Sui Sui et Stephen Tapp
Selon de précédentes études menées à l’échelle des entreprises, les petites et moyennes entreprises (PME) ont souvent moins de succès à l’exportation. Pour redresser la situation, le Canada s’est employé à favoriser leur participation au commerce international, notamment auprès de marchés émergents dynamiques qui aideraient le pays à diversifier ses échanges. L’analyse détaillée des activités d’exportation des PME canadiennes révèle d’ailleurs une diversification accrue de leurs marchés — la part de leurs exportations totales vers les pays émergents est passée de 4 p. 100 en 2001 à 10 p. 100 en 2014 — et montre que ces marchés constituent de plus en plus la première étape du parcours d’exportation des entreprises canadiennes. Sui Sui et Stephen Tapp notent plusieurs différences entre les échanges des PME et des grandes entreprises : les premières sont moins susceptibles d’exporter, touchent moins de marchés (s’en tenant souvent aux États-Unis) et enregistrent des recettes d’exportation nettement inférieures (notamment parce qu’elles sont concentrées dans des secteurs où ces recettes sont moindres). Le bon côté des choses : les échanges des PME sont naturellement plus « inclusifs » puisque les recettes d’exportation sont réparties entre un nombre beaucoup plus grand d’entreprises.
Les auteurs confirment, à l’instar des conclusions d’autres chapitres de l’ouvrage, que les PME exportatrices canadiennes touchent une meilleure « prime au rendement » que les PME non exportatrices. Ils montrent aussi que les PME qui exportent vers les marchés émergents ont en moyenne des résultats légèrement supérieurs2. Mais en recherchant des avantages plus importants auprès de ces marchés émergents en rapide croissance, les entreprises s’exposent aussi à de plus grands risques. Sur ces marchés, les écarts de performance entre les exportateurs canadiens du sommet et de la base sont particulièrement marqués. En général, les chances d’y survivre sont meilleures pour les entreprises plus expérimentées sur leur marché intérieur ou ayant préalablement exporté vers des économies avancées, selon ce qu’on appelle l’« exportation progressive ». Ce n’est toutefois pas l’unique clé du succès. Une poignée d’entreprises faisant affaire hors du Canada ont pénétré des marchés émergents dès leur mise sur pied (appelées born global, elles sont « nées pour l’exportation »), se spécialisant souvent dans les services de haute technologie.
Sui et Tapp soulignent l’importance pour le gouvernement fédéral de jouer deux rôles clés : celui de « conciliateur », pour aider à résoudre les problèmes des exportateurs, et celui de « fournisseur d’informations », pour évaluer les conditions du marché et aider les exportateurs potentiels à prendre des décisions fondées sur leur propre situation. Cette information gouvernementale doit aussi s’adapter aux besoins des petites et des nouvelles entreprises — y compris les exportatrices débutantes —, qui nécessitent généralement une plus grande aide extérieure et sont souvent disposées à faire les changements qui s’imposent pour réussir sur les marchés émergents. Vu la proportion étonnamment faible d’exportateurs qui font appel au soutien de l’État (environ 5 p. 100), nos décideurs doivent mieux faire valoir les programmes existants et les modeler afin qu’ils correspondent davantage aux besoins des PME. De même, ajoutent les auteurs, Ottawa doit s’efforcer d’abaisser les coûts des entreprises qui ciblent les marchés étrangers (surtout émergents), car l’ampleur de ces coûts pénalise de façon disproportionnée l’activité des PME. Parmi les moyens d’y arriver, ils citent la mise en œuvre d’ententes de commerce et d’investissement, la simplification des procédures douanières et la promotion du commerce électronique transfrontalier.
Sui et Tapp observent enfin qu’en adoptant d’autres stratégies que l’exportation directe vers les marchés émergents, les PME pourraient sans doute profiter à moindre risque d’intéressants avantages. Les PME à fort potentiel, par exemple, pourraient d’abord développer leurs ressources et leurs capacités dans des marchés étrangers plus favorables, ou vendre des biens et services intermédiaires à de grandes multinationales nord-américaines actives sur les marchés émergents.
Usman Ahmed et Hanne Melin
À l’exemple de Sui Sui et Stephen Tapp, Usman Ahmed et Hanne Melin examinent dans leur chapitre les moyens d’intensifier les échanges internationaux des petites entreprises, en centrant leur analyse sur le rôle facilitateur des nouvelles technologies plutôt que sur les marchés émergents comme tels. Les échanges traditionnels sont dominés par de grandes multinationales qui exportent régulièrement des produits standards de grande valeur. Elles expédient par camions, bateaux ou conteneurs en empruntant des corridors commerciaux bien établis. Or, soulignent Ahmed et Melin, on assiste à l’essor d’une nouvelle forme d’échanges technohabilités sous l’effet d’une amélioration des flux d’information, d’une meilleure connectivité et d’une confiance accrue à l’égard des transactions en ligne. Contrairement au commerce traditionnel, ces échanges technohabilités attirent davantage de petites et de nouvelles entreprises qui expédient ponctuellement des produits créneaux ou personnalisés de moindre valeur, souvent par service postal, vers des destinations spécifiques. Et bien souvent, ce sont les consommateurs qui dénichent ces entreprises plutôt que l’inverse.
À l’aide d’un ensemble unique de données sur les entreprises canadiennes actives sur les marchés eBay de 2008 à 2013, les auteurs décrivent comment les échanges mondiaux technohabilités diffèrent du commerce traditionnel « hors ligne », avant de recenser les obstacles au commerce électronique transfrontalier et d’examiner les mesures pour les surmonter. Ils montrent que les entreprises technohabilitées sont nettement plus susceptibles d’exporter vers un plus grand nombre de pays (soit 19 en moyenne via eBay, contre moins de 3 pour les entreprises hors ligne), mais aussi que les schémas d’échange sont plus inclusifs sur les marchés technohabilités, avec de nombreux nouveaux arrivants (surtout de petites entreprises) et des ventes moins concentrées au sommet.
Les petites entreprises technohabilitées rencontrent toutefois des difficultés spécifiques que nos politiques doivent prendre en compte pour leur assurer d’exploiter tout le potentiel de ces tendances. Entre autres choses, le gouvernement fédéral pourrait notablement relever son seuil de valeur (de minimis) sur les importations en franchise de droits afin de réduire les coûts de transaction refilés aux consommateurs. Pour les entreprises, il faudrait réduire les coûts des expéditions transfrontalières de faible valeur, tout autant que les délais et l’incertitude. En élargissant les partenariats entre agences douanières et entreprises, on pourrait aussi mettre à niveau les évaluations de risques douaniers (qui déterminent les biens à contrôler) pour accélérer le passage à la frontière. Certaines données utiles, comme les taux de satisfaction générés par les transactions en ligne — difficilement accessibles dans le commerce traditionnel —, pourraient notamment accélérer les procédures douanières.
Ahmed et Melin recommandent de mieux intégrer les petites entreprises aux programmes des « négociants dignes de confiance », qui permettent au secteur privé d’assumer certaines responsabilités en matière de sécurité douanière qui facilitent leurs activités commerciales. Des accords de reconnaissance mutuelle, qui prévoient que les négociants de confiance d’un pays soient reconnus comme tels par les autres pays signataires, rendraient beaucoup plus avantageuse la participation des PME à ces programmes. Enfin, les auteurs signalent au moins trois autres enjeux qui pointent à l’horizon : l’importance d’intégrer la question des services postaux aux discussions de politique commerciale, la nécessité d’une politique de services financiers technologiquement neutres en appui aux systèmes de paiement numérique, et l’importance d’une coopération réglementaire internationale sur les lois de protection des consommateurs.
La baisse du coût des échanges et les innovations technologiques des dernières décennies ont permis aux entreprises de répartir leurs processus de production en différentes tâches, puis de distribuer celles-ci dans le temps et l’espace au sein des CVM. De plus en plus, le commerce et la production planétaires sont ainsi structurés autour des CVM, surtout dans des secteurs comme l’électronique, le materiel de transport, les textiles et le vêtement. Résultat : l’essentiel du commerce international repose aujourd’hui sur l’échange d’intrants intermédiaires plutôt que de produits finis. Dans cette partie, les auteurs décrivent l’interconnexion grandissante de l’économie mondiale, retracent l’essor du Canada sur les marchés d’outremer par l’entremise de filiales étrangères, et montrent l’importance pour le Canada d’attirer et de conserver des tâches à forte valeur ajoutée.
Ari Van Assche
Ari Van Assche donne un aperçu de récentes études sur les CVM, pour ce qui est notamment de l’« approche par tâches » des échanges. Il examine dans quelle mesure l’intégration des entreprises aux CVM modifie leurs échanges internationaux et comment elle influe sur les politiques commerciales. Car si les entreprises ont traditionnellement considéré le commerce international comme un moyen de stimuler leurs ventes à l’étranger, celles qui font partie des CVM adoptent une « mentalité de chaîne d’approvisionnement ». Pour ces entreprises, le commerce mondial relève tout autant d’un processus que d’une finalité. Elles misent ainsi sur leur expansion internationale pour réduire leurs coûts de production, accéder aux technologies étrangères et diversifier leur exposition aux chocs des chaînes d’approvisionnement. Mais elles se heurtent en même temps à la complexité des déplacements transfrontaliers des biens, des personnes et des informations au sein de systèmes de production multiétapes.
L’auteur fait état de nouvelles données empiriques interpays indiquant que les CVM favorisent généralement la croissance, tout en soulignant la nécessité de recherches plus poussées sur les liens de causalité sous-jacents. Il montre en particulier que les pays ayant intégré les CVM connaissent souvent une accélération de leur production et une croissance de l’emploi. Cela laisse à penser que le Canada jouirait d’avantages économiques plus importants s’il était mieux intégré aux CVM, car il a malheureusement tardé à emboîter le pas à d’autres pays. Si les échanges canadiens au sein des CVM (rapportés au PIB) étaient restés les mêmes de 1995 à 2009 au lieu de reculer de 1,5 point de pourcentage, estime Van Assche, le PIB par habitant aurait ainsi augmenté de près de 0,2 point de pourcentage par année (toutes choses égales par ailleurs).
D’où importance de la connexité, principale leçon politique de la nouvelle réalité des CVM, selon l’auteur. Pour préserver et renforcer la compétitivité des entreprises canadiennes, nos politiques commerciales devraient donc favoriser leur connexion fiable et rapide à des partenaires de CVM. Et comme la productivité du secteur des exportations dépend fortement de ses liens avec des fournisseurs étrangers concurrentiels, nos décideurs devraient non seulement assouplir les rouages du côté de l’exportation mais aussi supprimer les restrictions à l’importation. Au-delà d’obstacles à la frontière, comme les droits de douane, ils devraient en outre viser l’élimination des entraves commerciales « derrière la frontière », comme la disparité des normes de produits. La qualité des infrastructures de transport, des réseaux de communication et du cadre réglementaire a des répercussions sur l’intégration des entreprises aux CVM. Mais pour appliquer un tel programme d’action, le gouvernement doit mieux communiquer à la population les avantages économiques des CVM, tout en améliorant la coordination des politiques de ses différents ministères.
La mise à profit des chaînes d’approvisionnement mondiales par
l’actualisation de la politique commerciale du Canada
Emily Blanchard
L’essor des CVM a également accru l’importance de la propriété internationale, selon Emily Blanchard. Désormais, l’intégration mondiale des chaînes d’approvisionnement, les investissements étrangers et les avoirs en portefeuille transfrontaliers font en sorte que l’activité des entreprises canadiennes déborde souvent les frontières du pays. Et ce phénomène estompe la distinction entre intérêts économiques nationaux et mondiaux. Lorsque des groupes d’un pays donné possèdent des intérêts directs dans des marchés d’exportation étrangers, leur -gouvernement est a priori moins enclin à imposer des tarifs et autres restrictions à l’importation. De fait, la croissance de la propriété internationale peut fortement inciter les gouvernements à libéraliser les échanges. Selon les données empiriques d’une recherche connexe, les pays qui ont des échanges plus nombreux avec les États-Unis (surtout les pays développés) profitent de meilleurs tarifs préférentiels sur le marché américain.
Les gouvernements doivent ainsi actualiser leurs approches de la tarification, du commerce des intrants, des règles d’origines et des réexportations. Car l’allongement des chaînes d’approvisionnement amplifie l’inefficience des barrières commerciales. Quand les produits franchissent plus souvent des frontières plus nombreuses, les droits de douane — qui s’appliquent à la valeur totale des biens passant la frontière et non à la valeur qui leur est ajoutée dans un pays — nuisent à la fragmentation de la production puisqu’un même produit peut avoir à franchir plusieurs barrières sur son parcours. Le Canada s’est engagé sur la bonne voie en abolissant les droits de douane sur les intrants manufacturiers, explique l’auteure, qui recommande toutefois d’aller plus loin en supprimant résolument les autres tarifs sur les importations. Cette mesure allégerait le fardeau réglementaire et douanier des entreprises et serait avantageux pour leurs clients, tout en améliorant l’efficience de la production.
Les CVM permettent aux pays de mettre à profit des relations de commerce et d’investissement renforcées, surtout par l’entremise d’accords préférentiels. Mais dans sa quête de tels accords, prévient Blanchard, la Canada doit se montrer sélectif et tenir compte de leurs coûts potentiels. Par exemple, certaines de leurs dispositions ont été critiquées parce qu’elles menaceraient la souveraineté des États en protégeant outrancièrement les investisseurs. En laissant de côté les pays non intégrés aux réseaux des CVM, ces accords pourraient aussi détourner les échanges et les investissements, ce qui creuserait l’écart entre les riches nations intégrées et les pays périphériques démunis. On créerait ainsi à long terme un « salmigondis » de règlements conflictuels susceptible de nuire aux efforts multilatéraux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour empêcher ce résultat, conclut l’auteure, le Canada doit continuer de jouer un rôle actif au sein de l’OMC.
Koen De Backer et Sébastien Miroudot
Il n’y a pas si longtemps, l’analyse des CVM se limitait à des études de cas, comme la production du iPhone, ou à des enquêtes menées auprès d’entreprises. Mais grâce à de nouvelles informations comme celles de la base de données sur les Échanges en valeur ajoutée (ÉVA) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on peut maintenant évaluer le degré de fragmentation de la production par pays. Cette approche permet de brosser un tableau plus fidèle de la valeur ajoutée apportée par chaque pays aux chaînes d’approvisionnement de différents secteurs d’activité.
S’appuyant sur les données ÉVA de 39 économies avancées et d’importants pays émergents, Koen De Backer et Sébastien Miroudot décrivent les grandes tendances mondiales des CVM et la place qu’y occupe le Canada. Ils confirment ainsi l’internationalisation croissante des processus de production : dans le monde entier, les entreprises importent davantage pour produire des exportations, ce qui entraîne l’extension et le raffinement des CVM. Si bien que la part de valeur ajoutée étrangère dans les exportations brutes est passée de 18 p. 100 en 1995 à 24 p. 100 en 2011.
Le Canada a certes renforcé sa participation aux CVM au cours des 20 dernières années, mais en moindre proportion que d’autres régions du globe, notamment l’Asie et l’Europe de l’Est. Cela s’explique en partie par ses liens avec les États-Unis, son plus important partenaire commercial, déjà solidement établis au milieu des années 1990. Depuis, les exportations canadiennes se sont déplacées des industries manufacturière et automobile vers le secteur des ressources, qui dépend beaucoup moins de contenus étrangers. Mais De Backer et Miroudot estiment que ce déplacement n’aurait eu qu’un effet mineur sur la participation globale du pays aux CVM. C’est donc dire que la forte hausse du prix des ressources naturelles, observée de 1995 à 2011, ne suffit pas à expliquer le retard du Canada par rapport à d’autres pays.
Les auteurs soulignent les difficultés du secteur manufacturier dans une économie mondialisée toujours plus ouverte et concurrentielle. Dans l’industrie automobile, par exemple, le Canada semble céder du terrain aux fournisseurs d’Asie et d’Europe. Les données montrent par ailleurs que les services contribuent davantage aux échanges internationaux que ne l’indiquent les statistiques brutes sur le commerce. De plus, la part des services dans les exportations canadiennes est inférieure à la moyenne dans la plupart des secteurs, tout particulièrement dans les services aux entreprises, où les possibilités de croissance pourraient être considérables.
Les conclusions de De Backer et Miroudot révèlent l’interdépendance de l’économie mondiale. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le quart des emplois est -assigné à la production destinée aux consommateurs finaux de marchés étrangers, mais moins du cinquième au Canada selon les estimations, ou 3,5 millions d’emplois. Ces chiffres laissent supposer que des chocs macroéconomiques et des -changements de fond pourraient se répercuter sur de nombreux pays, et que des ruptures d’approvisionnement locales risqueraient de perturber l’économie mondiale.
Face à l’interdépendance croissante des importations et des exportations, De Backer et Miroudot jugent que toute politique protectionniste se révèle tôt ou tard contreproductive, reprenant ainsi les mises en garde d’autres auteurs de cet ouvrage. Pour stimuler la croissance et l’emploi, nos décideurs devraient s’efforcer d’attirer des activités à forte valeur ajoutée comme la recherche-développement, la conception de produits et les services à la clientèle. Les politiques canadiennes devraient aussi alléger les coûts d’adaptation des travailleurs déplacés qui peinent à trouver un nouvel emploi et à acquérir de nouvelles compétences.
Daniel Koldyk, Lewis Quinn et Todd Evans
Daniel Koldyk, Lewis Quinn et Todd Evans s’appuient sur les conclusions –
d’Emily Blanchard relatives à l’importance de la propriété internationale dans un monde de CVM. Ils proposent une vision globale des liens économiques du Canada avec le reste du monde en analysant les exportations à base douanière et à valeur ajoutée, les investissements extérieurs, les ventes des sociétés étrangères affiliées et les stratégies commerciales. Ils en concluent que les entreprises canadiennes sont plus actives sur les marchés étrangers et moins dépendantes des États-Unis qu’on ne le croit généralement.
À l’instar d’autres pays, les entreprises sous contrôle canadien transforment leur façon de participer à l’économie mondiale en adoptant un modèle d’affaires plus diversifié, qualifié de « commerce d’intégration » par Exportation et Développement Canada, qui donne lieu à l’intégration croissante du pays aux chaînes de valeur d’outre-mer. Déjà, nos sociétés étrangères affiliées enregistrent sur les marchés d’outre-mer des ventes plus importantes qu’aux États-Unis. Et d’ici à 2018, nos ventes sur les seuls marchés émergents devraient surpasser celles à nos voisins du Sud. Ces sociétés affiliées non seulement produisent des biens, mais elles fournissent aussi un vaste éventail de services, notamment en intermédiation financière, en marketing, en service après-vente, en logistique et en technologie de l’information et des communications. Si bien que leurs ventes de services dépassent aujourd’hui en valeur leur production de biens et sont même deux fois supérieures aux exportations de services des sociétés au Canada.
À la lumière de 24 entretiens réalisés avec des dirigeants d’entreprise et de résultats d’enquêtes, qui ont tous confirmé ces tendances, les auteurs concluent que le modèle de commerce d’intégration est aujourd’hui bien établi. Pour autant, il ne s’agit pas nécessairement de remplacer toute « production intérieure » par une « production extérieure », puisqu’il faut aussi réussir chez soi pour réussir à l’étranger. Surtout que certaines tâches clés ne peuvent être exécutées outre-mer et qu’on a dû rapatrier certaines activités à la suite d’expériences malencontreuses.
Les entreprises canadiennes continuent de desservir le marché américain par leurs exportations, leurs investissements extérieurs et leurs sociétés affiliées. Mais la dynamique évolue rapidement sur les autres marchés, où elles s’appuient beaucoup plus qu’auparavant sur l’investissement extérieur et les sociétés affiliées. Cette approche permet aux entreprises canadiennes d’améliorer leur productivité, de miser sur l’essor de la consommation dans les marchés émergents, de tirer parti des réseaux commerciaux Sud-Sud et de réduire les obstacles freinant l’accès aux marchés. Ces activités outre-mer peuvent ainsi augmenter les sources de revenu, générer des exportations secondaires et contribuer à l’économie canadienne grâce au rapatriement de bénéfices assujettis à l’impôt canadien. Elles peuvent aussi favoriser la création d’emplois du côté de l’administration et de la production, de la recherche-développement et d’un éventail de services professionnels comme la comptabilité, le conseil et les services juridiques. Les auteurs concluent qu’il faudrait toutefois disposer de données plus solides et plus récentes, notamment sur le commerce à valeur ajoutée et les ventes des sociétés affiliées, pour mieux comprendre l’ensemble de ces enjeux et leur incidence sur les politiques publiques.
Jacques Roy
La compétitivité du Canada sur les marchés mondiaux est indissociable de la fiabilité et de l’efficience de ses infrastructures de transport. Jacques Roy examine leur rôle dans l’entrée et la sortie de biens en s’intéressant à quatre principaux moyens de transport : route, train, bateau et avion. Son analyse repose sur les données détaillées de Transports Canada ainsi que sur des entrevues menées avec des intervenants du secteur et des responsables des transports. Dans l’ensemble, note-t-il, les réseaux de transport et de logistique canadiens sont raisonnablement efficaces par rapport à ceux d’autres pays, mais on pourrait en améliorer le fonctionnement de plusieurs façons, en réduisant par exemple la congestion routière dans les grandes villes du pays, en dynamisant la compétitivité des ports à conteneurs, en augmentant les capacités du fret aérien et ferroviaire, et en renforçant la compétitivité des coûts.
La part des marchandises canadiennes transportées par voies maritime et aérienne a augmenté dans la dernière décennie, mais celle des marchandises transportées par route et par rail a sensiblement baissé. Cette tendance pourrait s’accentuer avec la mise en œuvre des accords commerciaux récemment conclus avec les pays d’Europe et de la côte du Pacifique. L’un des facteurs clés de cette tendance réside dans la stagnation de nos échanges avec les États-Unis, jumelée à leur essor avec le reste du monde. La part américaine de l’ensemble du commerce canadien de marchandises a reculé de 76 p. 100 en 2002 à 63 p. 100 en 2012. Cette baisse a des répercussions sur les modes de transport, puisque le commerce du Canada avec les États-Unis se fait surtout par route, par rail et par pipeline, mais avec le reste du monde principalement par voies maritime et aérienne (le transport maritime sert essentiellement pour l’Asie et le transport aérien pour l’Europe de l’Ouest).
La valeur de nos marchandises transportées par mer a presque doublé de 2002 à 2012. Les plus fortes hausses du trafic maritime ont eu lieu sur la côte Ouest du pays, aux ports de Vancouver et de Prince Rupert, sans doute en raison de l’essor des échanges avec l’Asie, la Chine en particulier. Les ports canadiens sont généralement bien équipés pour la manutention des produits en vrac, mais la compétitivité de nos ports à conteneurs est plus fragile. D’autant qu’ils ont récemment connu certaines difficultés : conflits de travail, perturbations des voies ferrées en hiver retardant l’acheminement des conteneurs en territoire intérieur, et crainte que les changements climatiques ne réduisent la profondeur du fleuve et les capacités de manutention sur la voie maritime du Saint-Laurent.
De son côté, le marché canadien du fret aérien est confronté au défi permanent de ses petites dimensions, qui limitent les capacités des avions-cargos et la compétitivité de ses coûts par rapport aux options américaines. Ce désavantage concurrentiel est amplifié par nos taxes et redevances d’atterrissage relativement élevées. Pour ce qui est du système ferroviaire, il subit des contraintes de capacité et connaît des problèmes de service, sans parler des enjeux de sécurité et des examens réglementaires suscités par le tragique accident survenu à Lac-Mégantic en 2013.
Roy note que les pays les mieux classés en matière de performance logistique ont massivement investi dans de vastes plaques tournantes de transport pour relier les modes de déplacement. À l’heure où le gouvernement fédéral songe à augmenter ses dépenses d’infrastructure, une importante partie devrait être consacrée à l’amélioration des infrastructures liées au commerce, en appui aux échanges à la fois intérieurs et internationaux, ce qui favoriserait la prospérité à long terme.
L’analyse théorique et les nouvelles données empiriques des précédentes parties révèlent d’importants défis liés à la politique commerciale. Les auteurs de cette partie examinent en détail dans quels domaines et par quels moyens nos décideurs peuvent relever certains de ces défis, y compris en misant sur d’autres cadres de négociation. Ils soulignent l’importance décisive de l’OMC pour assurer la cohérence et la santé du système commercial mondial, tout en plaidant pour une meilleure coopération réglementaire internationale et une concurrence étrangère renforcée dans les secteurs des services clés du Canada.
Robert Wolfe
Robert Wolfe examine les négociations commerciales internationales dans ce qu’il appelle un monde de « G zéro », où aucun groupe de pays, pas même les membres du G7 ou du G20, ne peut ou ne souhaite jouer un rôle dirigeant face aux enjeux du commerce planétaire. Le pouvoir mondial s’est à la fois déplacé et dispersé au cours des dernières années, surtout en raison de l’émergence de la Chine. Face à l’enlisement des pourparlers à l’OMC, les négociateurs empruntent d’autres avenues dans l’espoir de simplifier l’élaboration de nouvelles règles commerciales entre petits groupes de pays aux vues similaires. Ils visent, selon l’auteur, à déterminer quels types d’accords peuvent fonctionner en faisant varier les domaines traités, le nombre de participants, les méthodes de négociation et le rapport juridique avec l’OMC. Le Canada a participé activement à cet exercice, au point de conclure deux accords majeurs — l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne et le Partenariat transpacifique (PTP) avec l’Asie —, dont l’application rencontrait toutefois une forte opposition au moment d’écrire ces lignes. En misant sur cette approche préférentielle plutôt que multilatérale, les négociateurs parviendront-ils à réécrire les règles du commerce international pour le XXIe siècle ? Wolfe ne le croit pas, et prévoit plutôt qu’ils rentreront tôt ou tard au bercail de l’OMC.
Il estime en effet que même si d’importants accords préférentiels sont mis en œuvre, leurs faiblesses institutionnelles — notamment l’absence de solides mécanismes de surveillance, de secrétariats expérimentés et de mécanismes éprouvés de règlement des différends — les empêcheront en dernier ressort de favoriser la cohésion du système d’échanges international. Et ces faiblesses entraveront sérieusement l’efficacité d’éléments majeurs du programme actuel des politiques commerciales, notamment la coopération réglementaire. L’auteur signale aussi que certaines négociations clés omettent délibérément d’inclure la Chine pour des raisons géopolitiques, ce qui limite sensiblement leur incidence potentielle. De plus, la prolifération d’accords préférentiels crée des chevauchements et des incohérences que de nombreuses entreprises intégrées aux CVM jugeront ingérables.
Selon Wolfe, ces différents problèmes sont en principe plus simples à traiter dans le cadre multilatéral de l’OMC, qui fait œuvre d’accord de libre-échange du Canada avec 163 autres pays, parmi lesquels tous ses principaux partenaires commerciaux. Par conséquent, le renforcement de l’OMC doit figurer parmi les grands objectifs à long terme de la politique commerciale du Canada. Mais pour l’atteindre, il faudra surmonter les obstacles qui freinent la conclusion d’ententes sur des questions qui stagnent de longue date et débattre de nouveaux enjeux. L’OMC constitue pour le Canada la meilleure protection contre l’incertitude provoquée par les schémas d’échange et d’investissement, d’autant plus qu’on ignore aujourd’hui quels marchés voudront conquérir nos entreprises dans 10 ou 20 ans. Renoncer à ce qui reste des moribondes négociations du Cycle de Doha n’aurait rien de dramatique, mais la perte de l’OMC serait désastreuse pour les accords mégarégionaux, lesquels constituent de fait des ententes parallèles de l’OMC dont de nombreuses règles, comme les subventions et les recours commerciaux, doivent être établies multilatéralement.
La clé manquante et essentielle d’un système international plus cohérent réside dans un arrangement entre la Chine et les États-Unis. Le Canada ne peut débloquer cette impasse entre ses deux principaux partenaires commerciaux, mais il a récemment choisi de négocier avec la première puissance commerçante du monde au lieu de la contourner, en engageant des discussions exploratoires sur un éventuel accord de libre-échange avec la Chine. Une décision que l’auteur soutient puisqu’elle aidera les deux parties à mieux comprendre comment le géant asiatique pourrait s’intégrer encore davantage au système commercial international. Compte tenu surtout de son objectif primordial — conserver un accès au marché américain et à des chaînes d’approvisionnement centrées sur les États-Unis qui soit au moins aussi profitable que celui dont jouit tout autre pays —, le Canada doit participer à toutes les négociations plurilatérales engagées par son voisin du Sud, tout comme il doit accepter de discuter de ses propositions visant à améliorer l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Bernard Hoekman
Dans l’environnement commercial actuel, caractérisé par de faibles tarifs et des chaînes de valeur mondiales, les politiques réglementaires qui freinent la circulation des biens, des services, des savoirs et des experts ressortent davantage. On n’a qu’à penser aux règlements sur les produits de santé et de sécurité, aux exigences d’attribution de permis pour les fournisseurs de services ou aux méthodes de certification des processus de production. Une meilleure collaboration internationale en matière de réglementation produirait donc des avantages économiques substantiels, qu’on ne pourra toutefois concrétiser sans de nouvelles approches.
Bernard Hoekman examine trois grands obstacles à cette collaboration : les différences de mandats entre les négociateurs et les responsables des réglementations nationales ; les lacunes de coordination entre gouvernements mais aussi entre gouvernements et entreprises ; l’insuffisance de l’information au sein de chaque pays et entre nations. En définitive, soutient-il, le cœur du problème réside dans le « cloisonnement ». Généralement, les réglementations sont élaborées en vase clos par des responsables peu disposés ou malhabiles à tenir compte des effets économiques transfrontaliers de leurs décisions. D’un pays à l’autre, il s’ensuit une myriade de légères différences entre des règlements aux objectifs similaires, qui n’en imposent pas moins des exigences redondantes ou contradictoires. Ces différences font augmenter le coût des échanges, à tel point que la conformité réglementaire est devenue une source de grande préoccupation pour les entreprises intégrées aux CVM. Elles nuisent aussi au commerce international, comme l’indiquent des estimations selon lesquelles une meilleure coopération réglementaire produirait des avantages nettement plus importants que de nouvelles réductions tarifaires.
L’auteur propose donc d’améliorer cette coopération en supprimant les cloisons qui séparent l’élaboration des règlements et la prise de décisions économiques. Selon lui, il manque aux approches actuelles un mécanisme transversal et délibératif qui permettrait de voir au-delà des arbres qui cachent la forêt, d’échanger des connaissances et d’établir des interactions régulières entre les parties pour créer un climat de confiance mutuelle. Il préconise ainsi la création de « conseils de chaînes de valeur », qui serviraient d’organes consultatifs dans différents secteurs et seraient composés de hauts représentants des gouvernements, des entreprises et des syndicats. Ces conseils auraient pour tâche de déterminer les domaines qui profiteraient le plus d’une coopération réglementaire et de définir des indicateurs de performance permettant de superviser l’application des réformes nécessaires.
Hoekman estime que le défi le plus urgent du Canada consiste à renforcer la convergence des normes européennes et nord-américaines, ce qu’il doit faire en redoublant d’effort au sein du Conseil de coopération Canada–États-Unis en matière de réglementation et du forum de coopération réglementaire Canada-Union européenne qui sera créé dans le cadre de l’AECG. À plus long terme, le Canada devrait assumer un rôle de leadership sur ces enjeux à l’OMC, puisque la nature globale de la production implique que la coopération réglementaire s’étende progressivement à tous les pays. La collaboration multilatérale revêt une importance particulière pour des pays comme le Canada, dont le poids économique et politique est insuffisant pour favoriser à lui seul la convergence réglementaire. Enfin, l’auteur exhorte le Canada à soutenir la coopération réglementaire dans des forums majeurs qui pourront aborder ces questions, notamment l’OCDE et la Coopération économique de la zone Asie-Pacifique.
Mais la coopération réglementaire pose aussi problème au sein des pays, et non seulement entre eux. C’est ainsi que, souvent, chaque province canadienne établit ses propres règlements selon une approche individuelle qui crée des barrières commerciales internes. Voilà pourquoi l’auteur recommande de mettre en place un conseil de coopération réglementaire qui viendrait actualiser l’Accord sur le commerce intérieur, devenu obsolète.
Sébastien Miroudot
La coopération réglementaire est particulièrement importante en matière d’échanges de services. Si les services ont longtemps été perçus comme des biens non échangeables au-delà des frontières internationales, la révolution de l’information et des communications en a simplifié le commerce sur de longues distances. Plusieurs développements, notamment la fragmentation de la production au sein des CVM, l’essor de filiales étrangères en mesure de vendre des services sur place et le fort contenu de services intégré aux biens échangés, ont mis en relief l’importance du rôle des services dans le commerce international. Ils ont aussi fait ressortir le rôle joué par l’immense secteur tertiaire dans la productivité globale, de même que le vaste potentiel de croissance que de judicieuses réformes permettraient d’exploiter.
En cette ère de changements technologiques permanents, ces développements et les nouveaux modèles de gestion qu’ils impliquent profiteront avant tout aux pays qui adoptent des politiques facilitant la prestation transfrontalière de services. Qu’en est-il du Canada ? Son approche favorise-t-elle les échanges de services, ou est-ce l’inverse ? Sébastien Miroudot examine la question d’un point de vue international en s’appuyant sur l’Indice de restrictivité des échanges de services de l’OCDE, une base de données qui recense les obstacles créés par les lois et règlements en vigueur dans 42 pays (soit les 34 membres de l’OCDE et les principales économies émergentes). En 2015, le Canada se classait en milieu de peloton pour ce qui est des restrictions aux échanges de services. Mais les moyennes par pays indiquent que la restrictivité peut grandement varier selon les secteurs. Dans la plupart d’entre eux (15 sur 22), les politiques canadiennes sont moins restrictives que la moyenne. Par exemple, notre régime est relativement ouvert aux professionnels étrangers, surtout dans les services juridiques et techniques, la comptabilité, l’assurance, l’architecture et l’informatique. En revanche, les obstacles sont plus élevés que la moyenne dans le transport aérien, la radiotélévision, les services de messagerie, les télécommunications, la construction, le commerce de gros et de détail et le cinéma. Certains secteurs utilisent comme intrants clés des services comme les transports, les télécommunications et les finances. Or une concurrence accrue dans ces secteurs « en réseau », qui sont des vecteurs essentiels de productivité, aurait des retombées positives sur l’économie canadienne.
La plupart des obstacles canadiens aux échanges de services concernent l’entrée d’entreprises étrangères et le traitement des investissements extérieurs. Dans tous les secteurs économiques, par exemple, au moins le quart des membres des conseils d’entreprise doivent être citoyens ou résidents canadiens. Dans les secteurs assujettis à la Loi sur Investissement Canada, les investissements sont soumis à des contrôles imposant aux étrangers qui acquièrent une entreprise canadienne évaluée au-delà de seuils établis de démontrer que cela procurera vraisemblablement des avantages nets au Canada — une obligation qui ne s’applique pas aux investisseurs canadiens. Miroudot préconise de mettre à jour notre régime juridique d’échanges de services en verrouillant dans les accords internationaux l’ouverture de notre régime d’échanges, qui est en réalité plus libéral que ne l’indiquent nos engagements aux termes de l’Accord général sur le commerce des services de l’OMC.
Erik van der Marel
Alors que Sébastien Miroudot traite de l’effet relativement restrictif de nos politiques d’échanges de services, Erik van der Marel s’intéresse au potentiel de croissance du commerce canadien de services que laissent entrevoir les grandes négociations préférentielles en cours. Les services occupent une place de choix dans l’AECG et le PTP, et le Canada participe également aux négociations plurilatérales de l’Accord sur le commerce des services (ACS) regroupant 50 pays. À l’examen des services que nous exportons et de ceux qu’importent d’autres partenaires commerciaux, il note que les intérêts des groupes de pays de ces trois accords correspondent tous raisonnablement à ceux du Canada.
Pour déterminer le potentiel de croissance de nos échanges, l’auteur utilise un « modèle d’attraction » dont les prédictions permettent de déterminer avec quels pays le Canada échange « trop » ou « trop peu » de services. Il établit ainsi qu’il nous serait tout à fait possible d’accroître nos exportations vers les -États-Unis, même si nous y sommes déjà fort actifs, et vers plusieurs pays d’Europe, en particulier la France et le Royaume-Uni, où nous sommes beaucoup moins présents. À l’inverse, nous « surexportons » peut-être nos services en Chine et à Hong Kong, ainsi que vers certains paradis fiscaux des Caraïbes (via les flux de services financiers du Canada aux pays caribéens).
Du côté des négociations commerciales, la mise en œuvre du PTP profiterait aux échanges de services canadiens, surtout avec les États-Unis. Et celle de l’AECG favoriserait évidemment les échanges avec l’Union européenne, bien que l’auteur note certaines occasions manquées à la table de négociations, où l’on a exclu plusieurs secteurs sensibles. Pour sa part, l’ACS pourrait donner accès aux marchés à un ensemble de pays beaucoup plus vaste, même s’il reste à voir quelle sera l’ampleur réelle de cet accord. En fait, affirme l’auteur, le Canada pourrait réclamer l’accès à de nouveaux marchés au lieu de simplement verrouiller le statu quo, ce qui devrait profiter à tous les pays signataires.
Pour autant, le Canada ne doit pas forcément attendre la ratification d’accords négociés pour renforcer la compétitivité de son secteur tertiaire. Il dispose de nombreux moyens pour supprimer unilatéralement ses propres restrictions aux échanges ou verrouiller les préférences existantes, surtout dans les secteurs de services qui contribuent fortement à l’économie comme les transports, les télécommunications et les finances, mais où subsistent d’importants obstacles à l’entrée d’entreprises étrangères. Ces mesures offriraient au Canada de plus grands avantages économiques à long terme, même si les accords négociés ne sont pas rapidement mis en œuvre.
Sandy Moroz
Outre le commerce des services, les échanges de biens sont tout aussi complexes à traiter dans les négociations d’accords commerciaux. Les règles d’origine fixent la quantité de production et d’intrants qui doit émaner d’une zone de libre-échange pour qu’un producteur puisse profiter de tarifs préférentiels. Et s’il a toujours été nécessaire de s’entendre sur ces règles, l’enjeu a gagné en importance avec l’essor des CVM et des accords commerciaux préférentiels.
Sandy Moroz examine comment les négociateurs d’accords régionaux peuvent regrouper les règles disparates d’un éventail d’accords séparés dans un seul et même livre de règlements applicables à une zone de libre-échange élargie. Par exemple, 32 accords de libre-échange ayant chacun leur propre série de règles sont actuellement en vigueur parmi les sous-ensembles des 12 pays signataires du PTP. Or, s’il était mis en œuvre, celui-ci pourrait sensiblement réduire les coûts de conformité des producteurs qui vendent leurs biens sur le vaste marché unifié. Les entreprises n’auraient plus à remplir qu’un seul jeu de documents et pourraient s’approvisionner en intrants auprès de tout pays du PTP à des tarifs préférentiels (et donc auprès des fournisseurs de la zone PTP offrant les plus bas prix ou la meilleure qualité), tout en fournissant aux producteurs des autres pays signataires des intrants qui proviennent de la même zone.
En fin de compte, les gains suscités par l’unique ensemble de règles du PTP dépendront de leur rapport à celles des accords existants entre les pays signataires. L’auteur ouvre ici une nouvelle voie en montrant que pour de nombreux produits agricoles, mais aussi pour les textiles et le vêtement, les négociateurs ont largement ménagé les sensibilités des parties en utilisant les règles d’origine les plus restrictives des accords de libre-échange qui unissaient déjà les signataires. Pour ce qui est toutefois de la plupart des produits non agricoles, les règles du PTP autoriseraient les producteurs à importer une plus grande part d’intrants de pays hors zone qu’en vertu des règles actuelles. En ce qui touche par exemple les négociations controversées sur l’industrie automobile, les règles du PTP sont plus souples que celles de l’ALENA et permettraient aux fabricants japonais de conserver leurs chaînes d’approvisionnement asiatiques. Cela suscite d’ailleurs des craintes en Amérique du Nord, surtout chez les petits fabricants de pièces.
On doit cependant examiner l’incidence du PTP sur l’industrie automobile canadienne dans son juste contexte, précise l’auteur, pour qui la question centrale réside dans le lieu où seront assemblés les véhicules en Amérique du Nord. De ce point de vue, la capacité du Canada d’en conserver la production et d’attirer de nouveaux investissements dépendra en partie de la suppression des tarifs sur les véhicules de fabrication japonaise et de l’assouplissement des règles d’origine du PTP, mais surtout d’un ensemble plus général de facteurs de compétitivité, notamment la productivité du travail, les infrastructures, les réglementations et la tenue à moyen terme du dollar canadien, sans oublier la réaction du Canada aux incitatifs offerts par les gouvernements de la région. Qu’il se joigne ou non au PTP, le Canada affrontera une plus forte concurrence internationale, observe l’auteur, qui juge tout de même que l’accord créerait de nouveaux débouchés pour son industrie automobile.
Mais si la rationalisation des règles d’origine prévue au PTP serait d’une grande utilité, il est plus souhaitable encore que l’OMC établisse un ensemble harmonisé de règles d’origine préférentielles. Il sera certes difficile de conclure un accord multilatéral, mais chaque pays pourrait entre-temps coordonner les accords existants sans nécessairement unifier toutes leurs règles. Le Canada a fait inscrire une telle disposition dans tous les accords de libre-échange qu’il a signés depuis l’ALENA, même s’il ne s’en jamais prévalu.
En dernière analyse, le facteur clé de l’approche canadienne des négociations des règles d’origine reste la dépendance du pays à l’égard de son voisin du Sud, conclut Moroz. D’où la nécessité de négocier des règles qui traduisent l’importance des États-Unis, à la fois comme grand fournisseur d’intrants et comme marché essentiel pour les extrants de nombreux secteurs canadiens.
Andrew Newcombe
L’élaboration des règles visant à résoudre les différends entre investisseurs étrangers et pays hôtes — ce qu’on appelle « règlement des différends entre investisseurs et États » (RDIE) — figure parmi les sujets les plus controversés des récentes négociations commerciales. Les partisans du RDIE soutiennent qu’en respectant la procédure établie, les droits de propriété et certaines normes minimales de traitement, les traités d’investissement peuvent protéger et promouvoir à la fois l’investissement direct étranger, les règles juridiques et les principes de bonne gouvernance. Mais ces dernières années, la multiplication des accords sur l’investissement et des demandes de RDIE a suscité des critiques grandissantes à l’endroit du régime d’investissement international. Ces critiques touchent de nombreuses questions, notamment le pouvoir des tribunaux de RDIE de réviser les lois des pays hôtes et de mettre en cause les politiques de protection de la santé et de l’environnement adoptées par des gouvernements souverains (bien qu’ils ne puissent imposer directement des changements). S’il y a violation des engagements, ces tribunaux peuvent de surcroît obliger les États à payer des dommages aux investisseurs étrangers.
Pour situer le débat dans son contexte, Andrew Newcombe donne un aperçu du cadre juridique international qui régit les investissements étrangers. Il analyse aussi les principales critiques au sujet du régime d’investissement, et examine les changements clés que le Canada et les États-Unis ont apportés à la pratique des traités depuis une décennie. Il montre ainsi que cette pratique a sensiblement évolué dans cette période, en partie grâce au rôle dirigeant du Canada. Celui-ci doit d’ailleurs continuer sur cette lancée, soutient l’auteur, tout en apportant des améliorations à ses accords en vue de parfaire l’équilibre entre la protection des investissements étrangers et la souplesse de ses règlements. À cet égard, le chapitre actualisé de l’AECG sur l’investissement devrait servir de modèle à ses prochains accords (c’est-à-dire les amendements sur la création d’un nouveau système juridictionnel des investissements et certaines dispositions, comme l’instrument interprétatif commun, visant à établir le droit des pays hôtes à légiférer dans l’intérêt public).
Le Canada a été impliqué dans de nombreux différends en matière d’investissement, à titre de requérant ou d’État mis en cause (surtout en vertu du chapitre 11 de l’ALENA). Et la plupart du temps, estime l’auteur, ses conseillers juridiques ont su défendre ses intérêts face aux réclamations douteuses. C’est ainsi que rapportées à tous les investissements directs étrangers au Canada, les compensations accordées aux investisseurs étrangers n’en représentent à ce jour qu’une portion infime (moins de 0,025 p. 100). De plus, aucune donnée empirique n’indique de façon probante que les règles de RDIE ont empêché les décideurs canadiens de légiférer au profit du bien public.
Selon l’auteur, le Canada a donc tout intérêt à maintenir son appui aux obligations en matière d’investissement fondées sur les règles du RDIE. Car la raison d’être du régime d’investissement mondial est de protéger les investissements en misant sur de solides normes internationales. Le Canada et de nombreux autres pays avancés ont ainsi d’excellentes raisons systémiques de soutenir une norme de RDIE globale qui s’applique au-delà de tout accord individuel. D’autant plus qu’ils ne peuvent demander à d’autres pays d’accepter les obligations des accords modernes sans souscrire eux-mêmes à leurs dispositions.
Avec d’autres partenaires commerciaux, le Canada et l’Union européenne ont pris l’engagement d’établir un tribunal multilatéral des investissements et un mécanisme d’appel aux fins de règlement des différends. Il s’agirait certes d’une avancée intéressante, reconnaît Newcombe, mais qui ne risque guère de se concrétiser sans l’appui de grandes puissances comme la Chine et les États-Unis, qui paraît improbable. S’il est évident qu’un vaste cadre multilatéral serait plus performant que les milliers d’accords actuels, mieux vaudrait en faire un objectif à long terme plutôt qu’une priorité immédiate.
Les débats constructifs sur la refonte optimale des politiques commerciales du Canada doivent s’étendre au-delà des milieux gouvernementaux et universitaires, d’où notre volonté de réunir ci-après les points de vue d’un éventail de spécialistes. Les auteurs de cette partie représentent le secteur privé, le monde syndical, les associations industrielles et les organisations non gouvernementales. Bon nombre de leurs recommandations vont dans le sens des propositions déjà avancées dans cet ouvrage. Tous jugent décevante la performance commerciale du pays depuis le début de ce siècle, par exemple, et soutiennent qu’il faut un effort concerté pour redresser la situation. Plusieurs enjoignent le Canada d’accélérer la mise en œuvre des dispositions de l’AECG et du PTP qu’il est aujourd’hui possible d’appliquer — ces deux accords majeurs, au moment d’écrire ces lignes, ont été ratifiés sans être entrés en vigueur — et de faire progresser les discussions avec de grandes économies émergentes, notamment l’Inde et la Chine. Seul Jim Stanford récuse l’idée selon laquelle la multiplication des accords commerciaux profitera forcément aux citoyens et aux entreprises du pays. Cela dit, tous soulignent la nécessité de simplifier la procédure réglementaire et le système tarifaire, et exhortent le gouvernement à mieux promouvoir ses programmes de soutien aux échanges et à privilégier les politiques qui stimulent la croissance des entreprises au lieu de récompenser tacitement leur absence d’ambition. Les trois derniers commentaires examinent les échanges commerciaux canadiens dans un contexte mondial élargi, qui nécessite de prendre en compte les enjeux environnementaux et l’impératif d’une croissance plus inclusive.
Perrin Beatty et Cam Vidler
Ouvrant la discussion du point de vue des entreprises, Perrin Beatty et Cam Vidler observent que l’essor de vastes pôles commerciaux dans les marchés émergents a décentré le pouvoir mondial et entravé la collaboration internationale sur les enjeux commerciaux, si bien qu’on ne peut désormais s’en remettre aux seuls gouvernements pour libéraliser les échanges. Les entreprises doivent aussi jouer un rôle clé dans l’élaboration des politiques et la promotion des avantages du libre-échange auprès des consommateurs, des travailleurs et des entrepreneurs. Quant aux groupements d’entreprises comme le Forum économique mondial et la B20 Coalition, ils doivent se rapprocher de leurs homologues étrangers et adopter une approche polyvalente pour cibler les diverses sources de tension d’un système commercial de plus en plus fragmenté.
Les auteurs en tirent trois leçons pour le monde des affaires. Premièrement, on ne pourra libéraliser les échanges mondiaux d’un seul coup. Les entreprises doivent progresser graduellement à tous les niveaux, sans renoncer au système multilatéral. Elles ne peuvent toutefois se permettre de mettre tous leurs œufs dans le panier de l’OMC. Car en matière de négociations commerciales, l’approche régionale ne disparaîtra pas de sitôt. Mais d’importants progrès peuvent être accomplis hors des négociations traditionnelles, dans des forums comme le G20 ou dans les grandes capitales du globe.
Deuxièmement, l’inclusivité a plus d’importance que jamais. La montée de nouvelles puissances commerciales impose aux groupes industriels des pays de l’OCDE de conclure de nouveaux partenariats avec leurs homologues des marchés émergents et d’élaborer avec eux une vision commune.
Troisièmement, on ne peut traiter en vase clos les enjeux commerciaux. Les entreprises doivent veiller à ce que les politiques liées au commerce soient mieux coordonnées à des domaines comme l’énergie, les changements climatiques, la sécurité des produits et la protection de la vie privée. Les demi-mesures et les approches partielles auront pour seul effet de braquer l’opinion publique, de saper les atouts concurrentiels des entreprises et, en fin de compte, de dissuader les pays d’assouplir leurs règles commerciales. Il sera difficile de maintenir une dynamique favorable à l’échelle du système commercial international, reconnaissent les auteurs, mais chacun doit faire sa part. Surtout que pour le Canada, économie intermédiaire fortement exposée aux failles du système, le choix de l’indifférence serait désastreux.
John Manley et Brian Kingston
Pour assurer sa prospérité à long terme, le Canada doit absolument mettre en œuvre une stratégie d’échanges internationaux qui permette à ses entreprises de tirer profit des marchés mondiaux. Telle est la conviction de John Manley et Brian Kingston, qui démontrent que nos grandes entreprises sont les principaux moteurs de notre commerce international : en 2014, elles représentaient ainsi près des trois quarts de la valeur totale de nos exportations de biens.
Or le recul de notre compétitivité sur le marché américain figure désormais parmi les enjeux clés du pays. Car une première est survenue en 2015, quand les échanges de biens entre les États-Unis et la Chine ont dépassé en importance les échanges canado-américains. Pour redresser la situation, les auteurs proposent d’améliorer les infrastructures canadiennes à la frontière et de rationaliser l’accès réciproque aux deux marchés en adoptant une « politique d’alignement ou d’explication » par défaut face à la coopération réglementaire canado-américaine. Cela permettrait au Canada d’appliquer ses propres normes en matière de santé, de sécurité et d’environnement lorsque l’« intérêt national » le justifie.
Manley et Kingston exhortent aussi le Canada à mettre en œuvre les dispositions applicables de l’AECG et du PTP, à conclure ses interminables pourparlers avec l’Inde et à supprimer unilatéralement ses tarifs restants. Ils soulignent que la part des exportations canadiennes vers les marchés émergents est inférieure à celle de la plupart des économies avancées et qu’il faut poursuivre les efforts de diversification des échanges. La plus grande lacune de la stratégie commerciale du Canada réside aujourd’hui dans l’absence de plan intégré pour resserrer les liens avec la Chine, concluent-ils, dont un aspect clé consisterait à lancer officiellement des discussions bilatérales.
Ted Mallett
Ted Mallett traite l’enjeu du commerce sous l’angle des PME, dont 10 p. 100 sont exportatrices directes de biens et services, et qui représentaient en 2014 plus du quart de la valeur des exportations de biens canadiennes. Mais comme les frais fixes liés aux échanges internationaux sont souvent similaires pour les petites et les grandes entreprises — qu’on pense au temps nécessaire pour connaître les spécificités d’un marché ou s’inscrire à un programme de soutien gouvernemental —, les coûts commerciaux limitent de façon disproportionnée les échanges des PME, surtout en ce qui concerne les petits envois de faible valeur.
L’auteur s’intéresse donc aux politiques publiques qui pourraient favoriser les échanges des PME canadiennes. Premièrement, le gouvernement fédéral devrait mener une étude d’impact économique de ses droits de douane, qui prévoirait notamment de réexaminer et de regrouper des classifications tarifaires trop complexes. Cette mesure simplifierait les échanges de toutes les entreprises, mais tout particulièrement des PME et des exportatrices débutantes. -Deuxièmement, il devrait exonérer de droits les expéditions de faible valeur. Certains droits excèdent en effet la valeur des produits ou services expédiés, ce qui est anti-économique et alourdit inutilement la charge de l’État sans générer de véritables recettes. Troisièmement, il doit remédier aux lacunes en matière d’information. Avant de se lancer, les entreprises ont besoin d’une information claire et cohérente sur les coûts et le régime douaniers. L’Agence des services frontaliers du Canada pourrait ainsi simplifier l’accès à son site Web pour les PME et les exportatrices débutantes. Enfin, Ottawa doit tenir compte des besoins des PME dès l’élaboration de ses programmes et les promouvoir plus efficacement, car la plupart d’entre elles connaissent mal ou utilisent trop peu les programmes de soutien aux échanges commerciaux.
Certains des programmes les plus efficaces doivent néanmoins être maintenus, précise l’auteur, dont les suivants : le Conseil de coopération en matière de réglementation, qui collabore avec les États-Unis à l’harmonisation des règlements ; le Plan d’action Par-delà la frontière, qui vise à rationaliser et à simplifier les mouvements transfrontaliers de biens et de personnes ; la règle du « un pour un », qui impose au gouvernement de supprimer ou de modifier toute réglementation existante avant d’en adopter une nouvelle.
Bill Currie
Bill Currie s’intéresse lui aussi aux politiques publiques favorables aux échanges, cette fois à la lumière d’entrevues menées par le cabinet Deloitte auprès de 46 exportateurs canadiens d’expérience. À l’instar de Ted Mallett, il suggère de promouvoir plus activement les programmes de soutien au commerce, soulignant qu’un nombre étonnamment faible d’entreprises connaissent ceux qui leur sont offerts sous la forme d’aide publique, de mentorat ou de réseautage. Les gouvernements et les organisations industrielles doivent collaborer à la visibilité et à l’accessibilité de ces programmes, tout en regroupant les informations disponibles pour dissiper la confusion et alléger le fardeau des entreprises en quête de soutien.
L’auteur exhorte aussi les gouvernements à concevoir les incitations fiscales en fonction de la croissance et non de la taille des entreprises. De nombreuses politiques fédérales et provinciales favorisent clairement les petites entreprises en leur offrant de moindres taux d’imposition et des crédits d’impôt plus généreux pour la recherche-développement. Mais ces mesures peuvent avoir un effet dissuasif en termes de croissance. En fondant les critères de qualification sur la croissance et non sur la taille des entreprises, un plus grand nombre d’entre elles miseraient sûrement sur l’exportation.
Au rythme où se développent les économies émergentes, observe enfin Currie, le Canada doit continuer de réduire sa dépendance à l’égard du marché américain en renforçant ses liens avec d’autres partenaires commerciaux en pleine croissance. Comme d’autres auteurs de cet ouvrage, il propose de mettre en œuvre les dispositions applicables des accords négociés et d’en conclure de nouveaux avec des économies émergentes comme l’Inde. Puis il précise qu’une fois ces accords conclus, il sera essentiel d’établir un cadre de commercialisation permettant aux gouvernements de mesurer leur réelle capacité de libéraliser les échanges et d’atteindre des cibles définies.
Joy Nott
Joy Nott présente le point de vue d’une association industrielle, à savoir l’Association- canadienne des importateurs et exportateurs (I.E. Canada), qui soutient particulièrement les entreprises participant aux CVM. Elle souligne l’importance pour le gouvernement d’adopter des politiques et des procédures qui aident les entreprises à faire des affaires au Canada tout autant qu’avec le Canada.
À propos de politique commerciale, on croit souvent à tort que les chaînes de valeur s’arrêtent au dédouanement. Mais après que les importations ont traversé la frontière, les entreprises se retrouvent confrontées à un écheveau de règlements qu’il leur est difficile de démêler lorsqu’elles mènent des échanges internationaux. Voilà pourquoi les négociants canadiens — qui doivent importer de plus en plus pour exporter des biens et services technologiquement perfectionnés — attendent des décideurs qu’ils atténuent les effets négatifs de la « résonance » des chaînes d’approvisionnement, selon laquelle les politiques, procédures et pénalités peuvent viser les importations longtemps après le dédouanement des biens et leur passage à la frontière. C’est ainsi qu’un dossier d’importation peut être revu maintes fois après ce passage, souvent par plusieurs autres intervenants que l’importateur. On peut encore, des années plus tard, mener des audits, demander un remboursement, et réclamer un supplément d’information ou imposer des paiements aux entreprises par suite d’une réinterprétation des politiques douanières. Les effets de cette « résonance » ajoutent aux incertitudes de nos entreprises et rendent le Canada moins attractif comme place d’affaires. Selon l’auteure, l’élaboration des règlements et l’allégement des formalités administratives doivent d’abord viser la simplification et la production de résultats cohérents, sans nécessairement chercher à réduire leur nombre. En modifiant en ce sens son approche stratégique des échanges, le Canada pourrait grandement favoriser la compétitivité internationale de ses entreprises dans le contexte commercial du XXIe siècle.
Jim Stanford
Selon beaucoup d’observateurs, il faut accroître la libéralisation des échanges pour améliorer la faible performance commerciale du Canada en élargissant l’accès aux marchés étrangers et en accentuant les pressions concurrentielles au pays. Mais si Jim Stanford reconnaît qu’il y a un problème, il en fait un tout autre diagnostic et propose des priorités politiques bien différentes.
Il souligne que, depuis 2001, le Canada se traîne à l’avant-dernier rang des 34 pays de l’OCDE sur le plan de la croissance réelle des exportations. Et la moindre qualité de ces exportations est tout aussi préoccupante que leur faible nombre. L’auteur s’inquiète ainsi de leur composition, car elles proviennent de plus en plus du secteur primaire (agriculture, énergie, extraction minière et foresterie) et de moins en moins des secteurs « à forte valeur ajoutée » (automobile, aérospatiale, machinerie et matériel industriels, électronique et produits de consommation). Ce déplacement s’expliquerait non seulement par la hausse des produits de base dans cette période, mais aussi par une compétitivité insuffisante dans les secteurs à valeur ajoutée, causée par notre monnaie surévaluée et des faiblesses structurelles sous-jacentes. Stanford estime donc que le Canada a globalement échoué à créer une solide base d’entreprises innovantes et tournées vers l’exportation, qui puissent vendre sur les marchés mondiaux les produits et services à valeur ajoutée les plus en demande.
En ce qui concerne la performance commerciale, il note que nous faisons moins bonne figure avec nos partenaires d’accords de libre-échange qu’avec le reste du globe, pour ce qui est surtout des biens manufacturés. La croissance de nos exportations vers ces pays partenaires a été plus lente que vers d’autres pays, alors que celle de nos importations a été plus rapide. Cette corrélation entre -libéralisation des échanges et faible performance commerciale ne prouve pas nécessairement un lien de cause à effet, reconnaît-il. Mais depuis le début du siècle, la libéralisation du commerce et de l’investissement a sans doute fait plus de mal que de bien, avance-t-il, vu notre faible compétitivité au chapitre des coûts tout comme de la qualité et de l’innovation. Nos entreprises n’ont pu tirer pleinement parti de nouvelles opportunités à l’étranger, y compris celles qu’ont créées les accords de commerce et d’investissement récemment négociés. Ces accords ont pourtant exposé les entreprises ici même à une plus forte concurrence internationale, mais celle-ci a miné la capacité productive du Canada au lieu de la renforcer, nos entreprises peinant à relever ce grand défi mondial.
Au lieu de viser la conclusion d’autres grands accords, dit Stanford, nos décideurs doivent trouver de nouveaux moyens de stimuler la création et l’essor d’entreprises à forte composante technologique, innovantes et tournées vers le monde. Car elles ont besoin d’aide pour se mettre à niveau et se projeter sur la scène planétaire. L’État doit les aider à prospérer au lieu de subventionner les petites entreprises au moyen d’incitations perverses comme les faibles taux d’imposition, qui ne font qu’entraver leur croissance.
Si bien que la solution miracle aux difficultés commerciales du pays ne réside sans doute pas dans la signature d’autres accords de libre-échange, estime Stanford, qui exhorte les décideurs à envisager cette possibilité. Car les effets de ces accords peuvent être aussi bien positifs que négatifs selon leurs dispositions, leurs partenaires commerciaux et la capacité des secteurs canadiens à développer leurs exportations et à attirer des investissements mobiles. Depuis une dizaine d’années, conclut l’auteur, les négociations commerciales ont probablement causé plus de tort que de bien à nos échanges et investissements étrangers, et la signature d’autres grands accords pourrait encore aggraver les choses.
Scott Vaughan
L’enjeu du développement durable, l’un des plus complexes de notre temps, a d’importantes répercussions sur le système commercial planétaire. Scott Vaughan décrit comment les préoccupations environnementales sont devenues en 20 ans un élément clé de la politique commerciale internationale et examine l’incidence de cette évolution sur le Canada. Il estime que des politiques commerciales et environnementales judicieusement conçues peuvent conjointement produire de meilleurs résultats et favoriser le développement durable. À titre de négociant de biens et services environnementaux, le Canada a tout intérêt à conclure des ententes comme l’Accord sur les biens environnementaux, dont les négociations en cours entre de nombreux membres de l’OMC visent à libéraliser les échanges d’un vaste éventail de biens comme l’énergie renouvelable. Plus généralement, soutient l’auteur, le renforcement du système commercial multilatéral correspond aux intérêts à long terme du Canada et pourrait contribuer aux objectifs de développement durable des Nations unies. Le pari n’est pas gagné, mais le Canada possède les ressources administratives et le savoir-faire diplomatique pour faire bouger les choses.
Margaret Biggs
Réexaminant l’approche canadienne en matière de commerce et de développement, Margaret Biggs décrit tout d’abord comment se réorientent actuellement les liens entre ces deux enjeux — au Canada et dans les pays en développement mais aussi dans les discussions sur le commerce mondial — face aux nouvelles réalités économiques, politiques et sociales du globe. Qu’on pense seulement au déplacement de l’activité et du pouvoir économiques vers les pays en développement, ou à la réorganisation des échanges et des investissements autour des CVM sous l’effet de la mondialisation et des nouvelles technologies. De plus en plus, les économies avancées se tournent ainsi vers les questions soulevées « derrière les frontières », comme la coopération réglementaire et les règles d’investissement. L’idée de croissance inclusive gagne aussi en importance, surtout dans ces économies avancées. Sous l’effet de ces changements, les conséquences des échanges commerciaux sur le développement ont cessé d’être un enjeu secondaire ou lié aux seuls besoins des pays en développement. Désormais, cela fait partie intégrante des efforts visant à stimuler la croissance mondiale, réduire la pauvreté et assurer l’avenir du système commercial international. D’où l’importance grandissante de cette réorientation dans la politique commerciale du Canada.
D’autant plus qu’en analysant les répercussions de ces tendances, l’auteure relève des possibilités stratégiques favorables à un leadership canadien. Le « commerce inclusif », qui consiste à intégrer aux échanges les pays en développement et émergents tout en visant une prospérité partagée au sein des pays, est aujourd’hui indissociable de l’avenir du système commercial international mais aussi de toute approche canadienne progressiste. Et le Canada est bien placé pour trouver des moyens innovants d’intégrer commerce et développement au double profit des économies avancées et des pays en développement. Pour s’imposer comme chef de file mondial, il doit agir sur plusieurs fronts : faciliter les échanges et les investissements, soutenir la redynamisation du système multilatéral, privilégier le commerce inclusif dans son approche du développement, promouvoir les échanges et les investissements bilatéraux avec les économies en développement, et consolider son système de politiques sociales en appui à une économie mondialement inclusive et intégrée.
Arancha González
Arancha González examine la question de l’égalité des sexes dans les échanges internationaux et propose des mesures visant à intégrer aux marchés mondiaux un plus grand nombre de petites entreprises dirigées par des femmes. Car en améliorant la performance de ces entreprises, soutient-elle, on offrira aux femmes de nouvelles possibilités économiques et sociales tout en favorisant la croissance et la répartition équitable des revenus.
Elle souligne la forte disparité entre la participation des hommes et des femmes aux échanges commerciaux. Selon une récente étude sur les entreprises qui font du commerce international menée dans 20 pays en développement, une seule sur cinq est détenue ou gérée par une femme. Cela s’explique moins par le choix des femmes, croit l’auteure, que par les contraintes et les difficultés qu’affrontent les entrepreneures. Qu’il s’agisse de partis pris réglementaires, de blocages administratifs ou de préjugés culturels, ces obstacles limitent le temps que les femmes peuvent consacrer à leur entreprise et leur accès à des ressources comme le financement, les biens immeubles, l’information et les réseaux d’entreprises, qui les aideraient tous à repérer et à saisir les occasions d’affaires.
Pour créer un environnement favorable au commerce inclusif, il faut d’abord reconnaître que les politiques commerciales ne sont pas neutres en matière d’égalité des sexes, puis faire en sorte que le système commercial international tienne compte des grands défis que doivent relever les femmes. Par exemple, la ratification d’accords bilatéraux avec des pays qui empêchent juridiquement la participation des femmes à la vie économique pourrait être assujettie au retrait des mesures discriminatoires. On pourrait aussi intégrer aux accords des conditions établies en fonction de l’égalité des sexes (comme dans le récent accord signé entre le Chili et l’Uruguay). Il faudrait par ailleurs réexaminer périodiquement l’incidence des échanges et des accords commerciaux sur l’avancée du pouvoir économique des femmes, y compris au moyen du Mécanisme d’examen des politiques commerciales de l’OMC. De même, l’aide multilatérale au développement pourrait intégrer à ses projets le renforcement des capacités commerciales et l’enjeu de l’égalité des sexes. L’auteure cite en exemple différents projets comme la SheTrades Initiative, qui vise à intégrer un million d’entrepreneures aux marchés mondiaux d’ici à 2020. Enfin, des programmes intergouvernementaux comme les objectifs de développement durable des Nations unies peuvent favoriser le dialogue et l’action en faveur de l’égalité des sexes.
Plus que jamais, tous les acteurs mondiaux doivent collaborer en vue d’assurer aux femmes les mêmes possibilités, affirme González, qui rappelle qu’une société plus juste et plus égalitaire est toujours garante de prospérité économique. De fait, nous avons tous et toutes intérêt à supprimer les obstacles à la pleine participation des femmes aux échanges commerciaux.
Alors que le Canada se prépare à renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain, il doit clairement définir ses objectifs sans perdre de vue l’essentiel. D’où la nécessité d’un débat fondé sur des données probantes pour permettre de mieux comprendre les nouvelles réalités du commerce mondial, dont la montée du protectionnisme, d’examiner les moyens d’action les plus judicieux et de définir les priorités à long terme qui nous guideront dans le contexte d’instabilité actuelle. Cet événement de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) a donné lieu au lancement d’un important ouvrage collectif sur notre politique commerciale. Intitulé Redesigning Canadian Trade Policies for New Global Realities, l’ouvrage est le fruit d’un projet de recherche interdisciplinaire auquel ont collaboré plus de trente experts de huit pays. Les auteurs explorent l’incidence des changements structurels et des tendances émergentes du commerce mondial, des technologies et du pouvoir économique sur le Canada et ses politiques publiques.