La réforme du système canadien de justice pénale suscite depuis une dizaine d’années de vifs débats à l’échelle du pays. Des visions souvent concurrentes en matière de réhabilitation, de sanction et d’équité ont donné lieu à des approches très différentes et à de profonds désaccords entre partis politiques sur la meilleure façon de réformer le système.
Le gouvernement du Canada a fait de l’examen du système et de la réforme de la détermination des peines une grande priorité de politique pénale. La lettre de mandat remise à la ministre de la Justice établit clairement la nécessité d’un examen dans le but de « veiller à ce que nous accroissions la sécurité de nos collectivités, que nous utilisions au mieux l’argent des contribuables, que nous comblions les lacunes et que nous nous assurions que les dispositions actuelles cadrent avec les objectifs du système de justice pénale ».
Bien entendu, on ne mène pas une réforme de cette ampleur en vase clos. Tout changement peut avoir d’importantes répercussions sur les citoyens qui ont affaire au système et sur leur capacité d’accéder aux services sociaux ou à d’autres formes de soutien. Car la justice pénale entretient des liens complexes avec plusieurs autres systèmes sociaux, dans des domaines qui vont de la santé au soutien du revenu en passant par les services de garde et le logement. Son examen doit donc prendre cette réalité en compte, tout en limitant les conséquences potentiellement nuisibles et involontaires pour les délinquants et les victimes, leurs familles et leurs collectivités.
Pour mener à bien l’examen du système de justice pénale, nous avons tenu quatre tables rondes (à Halifax, Montréal, Toronto et Edmonton) qui ont rassemblé chercheurs, dirigeants communautaires, experts en politiques sociales, juristes et autres acteurs. Les discussions étaient centrées sur l’interaction du système de justice pénale avec les autres systèmes sociaux.
En résumé, les participants aux tables rondes ont estimé que l’examen du système doit produire les résultats suivants :
1. Reconnaître la nécessité d’une réforme de grande ampleur.
Selon le principal message issu des tables rondes, le système de justice pénale doit faire l’objet d’une réforme approfondie qui pourrait nécessiter plusieurs étapes. L’examen doit déterminer les éléments de réforme qui peuvent être rapidement mis en œuvre pour alléger le fardeau qui pèse sur le système et mieux soutenir les personnes qui ont affaire au système, tout en tenant compte du fait qu’il s’agit d’un processus à long terme. L’examen doit donc établir l’objectif final de la réforme et inscrire cette première étape dans un processus à long terme.
2. Définir précisément les valeurs et principes qui guideront le système de justice pénale du XXIe siècle, y compris en matière de châtiment et de réhabilitation.
L’examen doit permettre l’étude des valeurs qui guideront le système de justice pénale du présent siècle, tout en s’interrogeant sur ce qui les distingue de ses valeurs passées. La réforme devra établir clairement ces valeurs actualisées et les modifications qu’elles devraient apporter au fonctionnement du système.
3. Reconnaître que chaque individu est le produit de son milieu et investir dans des mesures préventives.
Trop souvent, on observe chez certaines personnes les signes précurseurs de la délinquance. L’examen devrait donc établir des « déterminants sociaux de la justice » et privilégier des programmes non intrusifs susceptibles de prévenir toute répercussion judiciaire négative.
4. Reconnaître que l’incidence du système de justice pénale est plus négative pour certains groupes démographiques et prendre en compte leurs besoins particuliers.
Le système de justice pénale n’est manifestement pas aveugle aux différentes identités et origines, et devrait par conséquent prendre en compte ces différences dans le traitement de chaque cas individuel.
5. Reconnaître l’existence du racisme systémique et définir des mesures pour y remédier.
L’examen devrait documenter les nombreuses façons dont le système de justice pénale est préjudiciable à certains groupes, parmi lesquels les Noirs et les Autochtones, et mettre au point les stratégies qui corrigeront son fonctionnement.
6. Étudier la possibilité d’accroître l’utilisation de programmes alternatifs et de justice réparatrice.
L’examen doit viser une réduction des taux d’incarcération, dans l’ensemble de la population comme dans certains groupes démographiques, en favorisant des approches alternatives qui englobent tous les outils dont disposent les tribunaux et les organismes d’application de la loi. Elles doivent contenir une déclaration formelle attestant le bien-fondé de ces outils et prévoir le financement nécessaire à leur utilisation.
7. Réexaminer la structure du système de justice pénale et ses interactions avec l’ensemble de ses intervenants de manière à placer l’individu au cœur du processus.
Les réformes sont trop souvent envisagées du seul point de vue de certaines administrations, ce qui donne lieu à des propositions évaluées selon leur effet sur les mandats et les responsabilités des acteurs. L’examen doit permettre de rejeter ce cadre conceptuel et d’envisager la réforme du point de vue des personnes qui ont affaire au système de justice pénale.
8. « Réduire la taille » du système de justice pénale afin d’accorder plus de place aux interventions à caractère social.
Au lieu de multiplier les services sociaux et de soutien au sein du système de justice pénale, l’examen doit viser à réduire sa portée en permettant le traitement externe d’un plus grand nombre de causes et de cas individuels. L’objectif consiste ici à réduire le nombre de personnes prises dans les mailles du système.
9. Toute réforme doit être élaborée et mise en œuvre en totale collaboration avec les provinces et territoires, de même qu’avec les dirigeants et gouvernements autochtones.
L’interdépendance de la justice pénale et des autres systèmes sociaux nécessite une double collaboration entre leurs acteurs et l’ensemble des gouvernements. C’est à cette condition que d’importants progrès à long terme seront accomplis.
10. Mobiliser la population pour raffermir sa confiance à l’égard du système de justice pénale et obtenir son adhésion à la réforme.
Le soutien de la population jouera un rôle crucial, surtout si la réforme donne lieu au réexamen des valeurs et principes du système de justice pénale. L’exercice sera réussi si le public juge la réforme parfaitement légitime.
11. Étudier la possibilité d’intégrer au système de justice pénale un mécanisme d’apprentissage faisant appel à de nouvelles capacités de recherche, au partage d’informations et à un ajustement permanent de son fonctionnement inspiré des meilleures pratiques.
La réforme doit étudier les mécanismes qui permettent au système de tirer les leçons de son propre fonctionnement et de s’adapter à l’évolution des situations.
(Ce rapport a été traduit de l’anglais.)
La réforme du système canadien de justice pénale suscite depuis une dizaine d’années de vifs débats à l’échelle du pays. Des visions souvent concurrentes en matière de réhabilitation, de sanction et d’équité ont donné lieu à des approches très différentes et à de profonds désaccords entre partis politiques sur la meilleure façon de réformer le système.
Le gouvernement du Canada a fait de l’examen du système et de la réforme de la détermination des peines une grande priorité de politique pénale. La lettre de mandat remise à la ministre de la Justice établit clairement la nécessité d’un examen dans le but de « veiller à ce que nous accroissions la sécurité de nos collectivités, que nous utilisions au mieux l’argent des contribuables, que nous comblions les lacunes et que nous nous assurions que les dispositions actuelles cadrent avec les objectifs du système de justice pénale[1] ».
Bien entendu, on ne mène pas une réforme de cette ampleur en vase clos. Tout changement peut avoir d’importantes répercussions sur les citoyens qui ont affaire au système et sur leur capacité d’accéder aux services sociaux ou à d’autres formes de soutien. Car la justice pénale entretient des liens complexes avec plusieurs autres systèmes sociaux, dans des domaines qui vont de la santé au soutien du revenu en passant par les services de garde et le logement. Son examen doit donc prendre cette réalité en compte, tout en limitant les conséquences potentiellement nuisibles et involontaires pour les délinquants et les victimes, leurs familles et leurs collectivités.
Pour mener à bien l’évaluation du système de justice pénale, nous avons tenu quatre tables rondes (à Halifax, Montréal, Toronto et Edmonton) qui ont rassemblé chercheurs, dirigeants communautaires, experts en politiques sociales, juristes et autres acteurs. Centrées sur l’interaction du système de justice pénale avec les autres systèmes sociaux, les discussions des quatre rencontres suivaient le même ordre du jour[2] pour faciliter leur regroupement en un seul rapport sommaire.
Pour que chaque participant puisse contribuer pleinement aux échanges et s’exprimer en toute liberté, on a formé des groupes d’une quinzaine de personnes[3], et les rencontres se sont tenues selon la règle de Chatham. Les discussions ont été consignées sous le couvert de l’anonymat, de sorte que chacun a pu s’exprimer à titre individuel et non en tant que représentant officiel ou porte-parole de son organisation. Il a été convenu qu’aucun participant ne serait cité hors des lieux de rencontre (ni dans ce document ni ailleurs) sans avoir donné son autorisation expresse et préalable.
Signalons que cet exercice figure parmi plusieurs autres consultations menées depuis deux ans par le ministère de la Justice. Ces consultations étaient structurées différemment et réunissaient des experts de domaines variés, issus notamment des milieux juridiques et d’application de la loi, qui ont discuté des différents aspects de cette évaluation particulièrement complexe. Le présent rapport doit donc être considéré comme l’une des nombreuses contributions à l’examen du système de justice pénale.
Le système canadien de justice pénale doit être non seulement réformé mais entièrement restructuré : voilà le message exprimé clairement et avec force à toutes les tables rondes. De l’avis des participants, l’examen du système canadien de justice pénale doit reconsidérer les valeurs et les principes qui le sous-tendent et envisager une série de modifications spécifiques, sous un nouvel angle conceptuel. Cela dit, les participants ont reconnu d’emblée qu’une réorientation aussi fondamentale nécessite du temps et que cet examen doit être vu comme la première étape d’un long processus.
Invités à décrire les maux dont souffre le système de justice pénale, les participants ont très majoritairement convenu de deux principaux problèmes :
Pour avoir un effet durable, toute réforme digne de ce nom devra donc s’attaquer directement à ces deux problèmes fondamentaux.
Avant toute chose, ont affirmé de nombreux participants, l’examen doit établir que le système repose sur une culture archaïque qui y demeure enracinée et détermine toujours son fonctionnement. Comme l’a observé un juriste, il est resté foncièrement ancré dans le modèle de l’Angleterre médiévale, fondé sur les notions judéo-chrétiennes de pénitence et d’expiation comme seules voies de rédemption pour les délinquants. De ce point de vue, les services policiers et correctionnels ont pour rôle de protéger la frontière entre ordre et chaos en isolant ceux qui s’écartent du droit chemin. Au fil du temps, il est apparu clairement que ce modèle ne produit aucun effet positif, ni pour les délinquants ni pour la société. Mais, depuis les années 1960, les réformes sont restées aussi timides que fragmentaires, faisant alterner par cycles récurrents l’identification des problèmes et l’adoption de règlements censés les résoudre. Ce processus a complexifié le système en lui ajoutant des niveaux d’intervention sans corriger véritablement son fonctionnement.
Nombre de participants ont soutenu que les services policiers et correctionnels sont réfractaires au changement, et cette mentalité s’étend aussi aux tribunaux, en dépit de la bonne foi et des nobles intentions de certains de leurs responsables. D’où la difficulté de ces institutions de faire évoluer leur rôle au sein du système. Elles considèrent souvent que les modifications voulues par les décideurs leur sont imposées et résistent parfois à les appliquer. Cette mentalité déteint sur les services de police et peut empêcher des policiers débutants de mettre en pratique les techniques modernes acquises au cours de leur formation. Un participant a cité le cas d’une province qui avait fermé des prisons aux rudes conditions de détention pour ouvrir des établissements fondés sur de nouveaux principes de « souplesse ». Au bout de quelques années, cependant, ces nouvelles prisons en étaient revenues à l’application de conditions aussi sévères que dans les anciennes.
Certains événements récents ont fait réfléchir de nombreux acteurs d’un système fonctionnant à pleine capacité, qui déborde de récidivistes ayant rechuté par suite de circonstances qui auraient pu être évitées s’ils avaient bénéficié de services plus adéquats. Le public semble aussi de plus en plus sensibilisé à l’inefficacité et à l’injustice du système, ont observé certains participants, ce qui pourrait faire pression en faveur de véritables changements.
Si la culture et les valeurs obsolètes sur lesquelles repose le système de justice pénale touchent négativement tous les citoyens ayant affaire à lui, son impact est plus fortement ressenti par certains segments de la population, comme l’ont rappelé les participants. Le système se montre discriminatoire à l’égard de groupes déjà vulnérables et marginalisés, phénomène exacerbé par la sous-représentation chronique de certains d’entre eux, notamment les Noirs et les Autochtones, dans les métiers juridiques.
Plus précisément, les participants ont décrit certains groupes dont les besoins sont inadéquatement pris en compte, et d’autres, qui font l’objet de discrimination systémique. Dans la première catégorie figurent tout d’abord les personnes souffrant de troubles mentaux qui ont des démêlés judiciaires mais sont prises en charge sans réelle considération de leur maladie. Or ces troubles expliquent souvent leur première infraction, mais on en tient rarement compte, même en cas de diagnostic reconnu. Le système criminalise ainsi la maladie mentale au lieu d’en privilégier le traitement.
Les femmes constituent le deuxième groupe de cette catégorie. Elles formeraient le segment démographique dont la représentation est en plus forte hausse dans les prisons, souvent pour raison de toxicomanie. De nombreux participants ont souligné la nécessité d’une approche genrée pour répondre à leurs besoins.
En troisième lieu figurent les personnes n’ayant aucun statut d’immigrant reconnu (et qui sont donc « sans papiers »). Particulièrement vulnérables, elles risquent souvent l’expulsion en cas de démêlés judiciaires, quelle que soit la gravité des infractions présumées. Pour illustrer les effets désastreux de cette politique, l’un des participants a cité le cas d’Abdoul Abdi, qui a récemment défrayé la chronique. Le garçon est arrivé au Canada à l’âge de six ans à titre de réfugié somalien. Ses parents en ont perdu la garde un an plus tard, et le jeune Abdoul a ensuite connu pas moins de 31 foyers d’accueil. Même une fois admissible à la citoyenneté canadienne, aucun de ses parents adoptifs n’a déposé une demande en son nom. Si bien qu’à 23 ans, le gouvernement a entrepris de l’expulser du pays après qu’il eut purgé une peine de prison de 4 ans et demi[4]. Quelques mois plus tard, une juge de la Cour fédérale a toutefois invalidé cette décision et renvoyé le cas devant une audience d’expulsion, et le gouvernement fédéral a choisi de respecter ce jugement[5].
Le quatrième groupe est formé de gens de plus de 50 ans, qui représentent 24 p. 100 des détenus des prisons du Service correctionnel du Canada. Cette population est en forte hausse depuis une dizaine d’années et devrait continuer d’augmenter[6]. À l’instar des personnes atteintes de troubles mentaux, nombre de citoyens plus âgés ayant affaire avec la justice souffraient déjà d’ennuis de santé, souvent liés à la démence, à l’alcoolisme ou à la toxicomanie. Or le système carcéral est mal conçu pour traiter les problèmes de santé liés au vieillissement, et les détenus qui en souffrent ont peu de chances de sortir de prison. Ceux qui ont purgé leur peine trouvent difficilement des proches ou des organismes pour les héberger et choisissent parfois de rester incarcérés pour recevoir un minimum de soins. Comme il n’existe aucune mesure de libération compassionnelle, les prisons deviennent en quelque sorte de rudimentaires maisons de repos pour leurs détenus âgés.
Pour ce qui est de la seconde catégorie, constituée des victimes de discrimination spécifique, les participants ont désigné deux groupes. Premièrement, ils étaient nombreux à estimer qu’il existe au sein du système pénal un racisme systémique à l’endroit des Noirs. Le système d’éducation conditionne les hommes de race noire à se percevoir dès l’enfance comme de futurs délinquants. Et puisque les policiers les soumettent souvent à des contrôles d’identité sans autre motif que la couleur de leur peau, ils sont amenés à intérioriser la perception d’une « criminalité noire ». D’où la nécessité de déterminer des peines socialement plus équitables qui tiennent compte des circonstances à l’origine des démêlés judiciaires des Noirs, particulièrement des jeunes. Certaines mesures ont été adoptées, comme la Loi contre le racisme en Ontario, mais beaucoup reste à faire.
Deuxièmement, des participants de toutes les tables rondes ont condamné le traitement réservé par le système pénal aux Canadiens autochtones, qui représentent 27 p. 100 de la population carcérale, alors qu’ils totalisent moins de 5 p. 100 de la population adulte du pays[7]. Comme beaucoup l’ont observé, on peut inscrire ce traitement dans un cycle intergénérationnel de racisme institutionnalisé, amorcé avec la colonisation puis renforcé par des politiques d’assimilation forcée dont témoignent notamment les pensionnats indiens. Le problème est si enraciné que certains Autochtones évitent de se présenter comme tels de crainte d’être l’objet de discrimination.
L’accès inégal des Autochtones à la justice se manifeste aussi du côté des victimes, ont noté les participants. Beaucoup ont ainsi jugé que les acquittements de Gerald Stanley et de Raymond Cormier, respectivement accusés des meurtres de Colten Boushie et de Tina Fontaine, constituent de grossières erreurs judiciaires. Et pour expliquer la récurrence du problème, plusieurs ont déploré que les institutions pénales n’aient pas cherché à mieux comprendre la situation historique, sociale et culturelle des peuples autochtones afin de mieux répondre à leurs besoins particuliers.
Dans son jugement d’avril 1999 R. c. Gladue, la Cour suprême du Canada a établi que la détermination du type de peine et de sa durée imposés aux Autochtones doit prendre en compte les facteurs systémiques et le contexte social. Or ce jugement a produit des résultats mitigés, ont noté les participants, même si la présentation de rapports Gladue (qui établissent les causes sous-jacentes ayant conduit un délinquant autochtone devant les tribunaux) a contribué dans certains cas à améliorer la situation des accusés[8]. La rédaction de ces rapports est parfois longue et coûteuse, et les tribunaux ne savent pas toujours comment les utiliser. De surcroît, ils sont souvent lus à voix haute en salle d’audience, sans égard pour la vie privée de l’accusé et au risque de divulguer des données sensibles ou personnelles. Si les rapports Gladue ont pour but d’aider le système à répondre aux besoins des Autochtones, a rappelé un participant, il arrive dans les faits qu’ils soient utilisés contre eux.
On observe dans tous les groupes mentionnés ci-haut une plus forte prépondérance de différentes formes de précarité : itinérance, chômage, alcoolisme et toxicomanie, problèmes de santé physique ou mentale, pauvreté chronique. Un participant a parlé de « judiciarisation de la misère » pour décrire ce phénomène. Et si les participants ont unanimement convenu que le système de justice pénale ne devrait pas servir à résoudre des problèmes d’ordre foncièrement social, la réalité est telle que cela se produit tous les jours.
La faible accessibilité des services sociaux peut expliquer parfois que certains prennent le chemin de la criminalité. Quelques participants ont évoqué le parcours type qui mène de l’aide sociale à l’enfance au système de justice pénale pour adolescents : des travailleurs sociaux retirent un enfant d’un foyer dysfonctionnel dans l’espoir de lui offrir un meilleur avenir, mais jeune adulte, il finit plutôt par se retrouver en prison. L’intention est noble, mais l’insuffisance des services destinés aux enfants en famille d’accueil ne favorise guère leur passage à une vie autonome. La plupart d’entre eux grandissent sans encadrement parental ni liens familiaux. Si bien qu’au lieu de résoudre un problème d’origine éminemment sociale, le soutien de l’État en vient à créer un problème de justice pénale. Comme l’a formulé un participant : « Les gouvernements se révèlent souvent de médiocres parents. »
Ce parcours est caractéristique de nombreux cas de vulnérabilité sociale, même quand les problèmes semblent moins graves. Par exemple, de mauvais résultats scolaires (causés par le décrochage ou une faible littératie) peuvent inciter à la criminalité. Et même la petite criminalité peut amoindrir les chances des jeunes de réussir à l’âge adulte. Ils s’engagent alors sur la voie d’une précarité qu’on aurait sans doute pu prévenir en intervenant plus tôt. De nombreux participants ont par ailleurs évoqué le fort taux d’incarcération des sans-abris, dont beaucoup alternent eux aussi entre la rue et la prison.
Selon des participants aux quatre tables rondes, l’accès inégal à la justice et l’inégalité du traitement juridique sont les deux principales raisons des manquements du système. Certains ont soutenu qu’en dépit de leur bonne volonté, des avocats souvent surchargés de travail conseillent parfois à leurs clients de plaider coupables en échange d’une réduction de peine, ou sans doute pour limiter leur exposition au système. En effet, 90 p. 100 des accusés dans les affaires pénales plaident coupables. Une pratique condamnée par les participants, qu’ils considèrent comme un déni de justice pour les plus vulnérables.
Les accusés en attente de procès se heurtent aussi régulièrement à des difficultés administratives qui peuvent avoir une forte incidence sur leur situation. Voici quelques-unes de ces difficultés : 1) s’ils téléphonent à des proches ou à des personnes-ressources, ils ne peuvent laisser de message vocal puisque les appels sont à frais virés, ce qui peut les priver d’un important soutien ; 2) l’accès aux services dans la langue officielle de la minorité est restreint dans les systèmes pénaux de plusieurs provinces ou territoires, et certaines barrières culturelles limitent souvent la capacité des Autochtones et des néo-Canadiens de participer à leur propre défense ; 3) les accusés n’ont pas toujours accès à un avocat, ce qui peut être source de détresse psychologique ; 4) les récusations péremptoires[9] sont souvent utilisées pour limiter la diversité des jurés, ce qui peut sans doute entraîner une hausse du taux d’incarcération parmi les groupes qui subissent déjà d’autres formes de discrimination ; 5) le recours aux enquêtes préliminaires[10] serait clairement insuffisant.
Bien entendu, les victimes d’infractions rencontrent elles aussi des obstacles. Les participants en ont relevé deux principaux, le sous-signalement et le retard de procès. En effet, de nombreuses victimes évitent de signaler un crime parce qu’elles craignent d’être l’objet de représailles ou de ne pas être prises au sérieux. Les agressions sexuelles en sont un exemple clé, puisque moins d’une sur cinq serait signalée à la police[11]. En ce qui concerne les retards de procès, ils allongent le délai précédant l’instruction, ce qui accroît l’anxiété de victimes déjà traumatisées. Or, ont noté plusieurs participants, le système n’offre qu’un soutien limité à ces personnes, qui se sentent revictimisées par cette attente.
Des participants de toutes les tables rondes ont souligné la difficulté pour les délinquants de s’extraire vraiment du système après leurs démêlés judiciaires. Selon le syndrome de la porte tournante, beaucoup sont de nouveau arrêtés pour des délits mineurs qui s’accumulent, aggravent leur situation et empêchent leur pleine réhabilitation. Il faudrait donc réformer le Code criminel afin de réduire sensiblement les taux d’incarcération tout en favorisant une détermination des peines à visée sociale et des sanctions extrajudiciaires. Plus précisément, les gouvernements doivent envisager la décriminalisation, ou à tout le moins d’autres mesures que l’incarcération, pour les infractions suivantes :
L’incarcération joue un rôle légitime dans le système de justice pénale, mais sa surutilisation entrave fortement la capacité du système de réhabiliter les délinquants, ont estimé de nombreux participants aux quatre tables rondes. Pour redresser la situation, ont-ils insisté, il faut repenser notre approche de la justice pénale selon un nouveau paradigme qui remet en question ses fondements et rejette la notion de « châtiment ».
Les participants préconisent un système axé sur la prévention, la déjudiciarisation, la justice réparatrice et la réhabilitation. Une focalisation accrue sur les services sociaux permettrait d’empêcher que d’entrée de jeu des individus ait affaire au système de justice pénale. Selon ce paradigme, l’incarcération serait l’exception et non la règle. Dès lors, de nombreux problèmes que nous tentons de résoudre par l’entremise du système pourraient être traités plus efficacement par des intervenants extérieurs.
Contre ceux qui jugeraient cette approche idéaliste, certains participants ont souligné le taux de réussite de nombreux projets pilotes : de fait, le défi n’est plus de démontrer leur efficacité, mais d’étendre leur portée. Ils ont aussi fait valoir le potentiel des tribunaux spécialisés en traitement de la toxicomanie, en santé mentale, en violence conjugale et en mieux-être, qui ne sont sans doute pas une panacée, mais peuvent être très efficaces. Quelques-uns ont également cité d’intéressantes pratiques du système de justice pénale pour adolescents, que le système pour adultes tarde à mettre en œuvre. Dans la plupart des provinces, les ministères chargés de la jeunesse financent ainsi les expertises judiciaires des jeunes délinquants pour leur assurer des peines appropriées. De son côté, le ministère québécois de la Santé et des Services sociaux s’assure d’employer des travailleurs sociaux en nombre suffisant pour répondre aux besoins de ces jeunes. Il reste maintenant au système de justice pénale pour adultes à s’inspirer de cette approche plus personnalisée.
Pour vraiment réformer le système de justice pénale, nous devons aussi modifier notre perception des délinquants. Policiers, juges et avocats ne connaissent pas la précarité de leurs conditions de vie ni leur culture souvent minoritaire, ont souligné les participants, sans parler de la vie derrière les barreaux. Un participant a décrit comment un organisme, pour faire avancer les choses, a réorienté la formation donnée aux policiers sur les Autochtones, qui reposait jusque-là sur l’histoire des atrocités subies par leurs peuples, pour mettre l’accent sur l’importance de leur culture et de leurs réalisations. Cette approche positive a su changer la façon dont les policiers perçoivent et traitent les Autochtones. Plus généralement, les participants estiment que les questions d’ordre public doivent être enseignées autrement dans les établissements scolaires et publiquement débattues en vue de dépeindre les délinquants autochtones de façon plus juste et moins stigmatisante.
L’un des moyens de transformer notre perception des délinquants consiste sans doute à individualiser leur traitement juridique. Les juges doivent notamment utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer des peines adaptées à la situation de chacun, ont insisté les participants, y compris pour une même infraction commise dans des circonstances différentes par deux personnes distinctes. Certains ont même proposé de recourir à une variante des rapports Gladue dans les procès de délinquants non autochtones.
En donnant priorité à l’infraction au détriment de son auteur, le système de justice pénale cherche à punir les crimes plutôt qu’à réhabiliter les délinquants. À la lumière de ce constat, les participants aux tables rondes ont préconisé l’adoption d’un nouveau paradigme qui prendrait en compte le milieu et la situation des délinquants, tout en privilégiant la réhabilitation et la prévention.
En matière de réhabilitation, il faut prêter attention à la réconciliation entre un détenu relâché et la communauté qu’il doit réintégrer, notamment sa propre famille. Car ses proches ont aussi vécu un traumatisme, rarement pris en compte par le système. Les participants ont proposé une approche de justice réparatrice qui intègre les familles, et même la collectivité, au processus de réhabilitation. Et ils ont souligné l’importance d’incarcérer les délinquants dans des établissements aussi près que possible de leur collectivité. D’autant plus s’il s’agit d’Autochtones, dont la réhabilitation est favorisée lorsqu’ils restent en contact avec leur culture et réduit de façon démontrée les risques de récidive.
Pour ce qui est de la prévention, les participants ont soutenu que chaque individu est le produit de son milieu et qu’il faut s’attaquer très tôt aux problèmes de cet environnement. Les infractions commises par les jeunes Autochtones et les jeunes racialisés, par exemple, trouvent souvent leur source dans une situation de précarité sociale. Une fois retirés de leur communauté en raison de leurs démêlés judiciaires, ils ne peuvent plus contribuer à son bien-être économique, ce qui ne fait qu’aggraver le cycle de la pauvreté. La prévention vise à briser ce cycle en favorisant des conditions sociales susceptibles de faire baisser la criminalité dans les communautés.
Certains participants ont proposé de qualifier les facteurs sociaux qui peuvent mener à des démêlés avec la justice de « déterminants sociaux de la justice » (en s’inspirant du concept des « déterminants sociaux de la santé ») et ont défini cinq « besoins » sociaux à cet égard : revenu, emploi, logement stable, éducation et santé.
L’un des participants a également proposé de créer des archives sur l’impact du système de justice pénale et sur les conditions et situations sociales qui entraînent à la criminalité, ce qui pourrait aider à déterminer les services qui devraient être intégrés aux stratégies de prévention et de réhabilitation.
Pour changer de paradigme, il faudra transférer certaines ressources du système de justice pénale vers les services sociaux et la prévention en amont. Mais comme il n’a jamais été politiquement rentable de réaffecter les fonds dont dispose le système, ont soutenu des participants, les gouvernements ont plutôt tenté d’y incorporer les services requis. Cette démarche s’est révélée inefficace, puisque les policiers et les agents correctionnels ne sont pas — et ne devraient pas être — des travailleurs sociaux ou des prestataires de services de santé. Elle a pourtant servi à gonfler les budgets des institutions pénales, ont-ils affirmé, sans toutefois produire d’améliorations. Aussi recommandent-ils d’investir en amont plus d’argent dans les services préventifs afin de réduire le besoin d’intervention du système. Ils exhortent en outre tous les ordres de gouvernement à financer adéquatement des projets fructueux comme les tribunaux alternatifs.
Institutions pénales, services sociaux, institutions autochtones et organisations non gouvernementales fonctionnent aujourd’hui en vase clos, ont noté les participants, sans véritables passerelles pour les relier. Or bon nombre des problèmes du système de justice pénale relèvent justement du cloisonnement des processus et d’un manque de communication.
Pour faciliter le décloisonnement des institutions, les acteurs de la justice pénale doivent établir des partenariats avec des organismes externes sans chercher à les reproduire ni à les remplacer au sein du système. La plupart des participants ont rejeté l’idée de renforcer l’intégration des services sociaux au système pénal, puisque cette approche a eu pour effet de modifier le rôle des intervenants du secteur. Le système devrait plutôt « réduire sa taille » et améliorer ses liens avec des acteurs sociaux externes, mieux à même de répondre aux besoins « non judiciaires » des délinquants. Ce décloisonnement pourrait se concrétiser assez rapidement si les programmes de formation insistaient davantage sur ces formes de collaboration et si l’on partageait plus largement l’information sur les projets pilotes réussis.
L’ensemble du système doit être centré sur l’individu pour assurer la réussite des approches de prévention et de réhabilitation. Les services offerts à chacun doivent être interconnectés, et les prestataires doivent maintenir une solide communication tout au long du parcours judiciaire des délinquants. Dans certaines causes, des intervenants ont été tenus de collaborer pour discuter des besoins du délinquant et coordonner une action en s’aidant de méthodes comme le modèle du carrefour ou les tables d’intervention. Mais en dépit d’excellents résultats, cette approche collaborative est rarement appliquée, sauf en « période de crise » et sans véritable suivi. Une fois le parcours judiciaire engagé, les prestataires de services externes perdent tout accès aux délinquants. De nombreux prévenus en détention provisoire ne reçoivent ainsi aucun service, ce qui risque d’aggraver la situation dans laquelle ils se trouvaient avant leur arrestation. Certains participants ont ajouté que tous les services sont financés par l’État, et qu’il y a beaucoup de gaspillage et de redondance en raison d’une communication défaillante.
Cette idée des partenariats n’est pas nouvelle. Dès les années 1980, a rappelé l’un des participants, les gouvernements ont incité les institutions pénales à collaborer avec les services sociaux et à se rapprocher des collectivités. Tous ont souligné l’importance cruciale d’une meilleure collaboration pour améliorer le sort des délinquants et l’efficience du système. Ils ont aussi préconisé la création d’un modèle assurant aux personnes à risque et aux délinquants d’être soutenus par un réseau coordonné de services sociaux et juridiques. La coordination ne devrait pas se limiter aux périodes de crise mais se prolonger à plus long terme.
Si la collaboration et le partage d’informations sont indispensables, les participants ont pris soin d’en signaler les risques en matière d’éthique et de confidentialité. Par respect du droit à la vie privée, certains ont suggéré d’obtenir un consentement préalable du délinquant à tout échange d’informations. D’autres ont dit craindre que des délinquants en mauvais état physique ne puissent accorder leur consentement et soient alors privés de services « décloisonnés », non sans répercussions sur leur situation. Selon une proposition bien accueillie, on pourrait créer un organisme qui désignerait des travailleurs sociaux pour aider les personnes à risque et les délinquants à « naviguer » au sein du système de prévention et de réhabilitation. Ces « navigateurs de système » coordonneraient les services requis et surveilleraient la diffusion des renseignements personnels. Pour donner plus de latitude aux travailleurs sociaux, un participant a suggéré d’intégrer à leurs fonctions le modèle APIC (assess, plan, identify, collaborate) des meilleures pratiques d’évaluation, de planification, d’identification et de collaboration.
Au-delà d’une collaboration au cas par cas avec des partenaires externes, les participants ont carrément proposé d’institutionnaliser ces partenariats. Lorsque les services sociaux et les organisations non gouvernementales sont appelés à collaborer avec le système, les liens entre les différents acteurs restent souvent informels, et leur niveau d’engagement varie à l’échelle du système. Une vaste majorité de participants ont donc estimé que l’institutionnalisation de leurs échanges, soutenue par un organisme qui superviserait les programmes concernés, profiterait à la fois aux institutions pénales et à leurs partenaires.
Plusieurs participants ont préconisé l’établissement de partenariats entre les institutions pénales et les communautés touchées, soulignant trois avantages clés d’une telle approche. Premièrement, la participation des communautés aux enquêtes pénales contribuerait à légitimer le processus judiciaire. Deuxièmement, les policiers et les travailleurs sociaux qui tissent des liens avec les communautés disposent de meilleures informations pour reconnaître les personnes à risque et adapter les services de prévention en conséquence. Troisièmement, étant donné que les initiatives de prévention et de réhabilitation innovantes proviennent souvent de communautés minées par la criminalité, leur efficacité et leur impact seraient renforcés par de fructueux partenariats entre les institutions pénales et les services sociaux.
Comme on l’a vu, le fonctionnement du système de justice pénale a été particulièrement préjudiciable aux Autochtones. Les participants conviennent que les dirigeants et gouvernements autochtones doivent être consultés en vue de sa réforme, et que celle-ci ne doit en aucun cas leur être imposée. Pour améliorer la situation des Autochtones à risque, tout comme des Autochtones incarcérés, les dirigeants autochtones doivent jouer un plus grand rôle dans les programmes de prévention et de réhabilitation. Certains ont aussi proposé l’application de pratiques judiciaires autochtones dans les causes impliquant les membres de ces communautés.
De nombreux participants aux tables rondes ont attribué les entraves à la collaboration en raison du cloisonnement au désalignement des politiques et programmes des différents ordres de gouvernement. Ils ont observé que le fédéral a tenté d’appliquer plusieurs nouveaux modèles sans toutefois mobiliser les provinces, ce qui a limité leurs chances de succès. Or l’adoption de nouvelles approches au sein du système pourrait être plus efficace si les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux en déterminaient conjointement les priorités, tout en coordonnant la recherche et le financement.
Les participants ont également relevé d’importants écarts entre provinces et territoires — tout comme au sein de chaque entité — au chapitre des services courants. De la suspension des casiers judiciaires à la planification des sorties en passant par les soins de santé, le traitement des dossiers et la prestation des services varient si fortement que leurs résultats dépendent du lieu d’incarcération des délinquants. Ils ont aussi déploré que les meilleures pratiques de certaines provinces soient peu appliquées ailleurs au pays, tout en proposant d’examiner celles qui ont démontré leur efficacité à l’étranger. À l’évidence, a observé un participant, gouvernements et institutions pénales ne savent guère tirer les leçons de certaines situations et faire les liens qui s’imposent.
Tous les participants issus du milieu de la recherche ont déploré l’insuffisance de la collecte de données des institutions pénales et l’accès limité des chercheurs aux données existantes. On ne peut en effet prendre de solides décisions politiques et optimiser les résultats sans analyses et données empiriques de qualité. Quelques chercheurs ont pu accéder à des données de justice pénale, mais les dirigeants qui pourraient en profiter ne prennent souvent pas la peine de consulter leurs recherches.
La disponibilité d’équipements modernes est aussi limitée dans certaines administrations, notamment en région rurale, qui utilisent le papier au lieu de l’ordinateur et dont les tribunaux n’ont aucun matériel de vidéoconférence.
Plusieurs participants ont proposé de créer des institutions chargées de superviser ou d’appliquer les éléments de réforme adoptés. L’une de leurs recommandations vise spécifiquement la création d’une commission sur la réforme du système de justice pénale composée de fonctionnaires, d’intervenants et de spécialistes, qui encadrerait tout élément de réforme globale et en superviserait la mise en œuvre. D’autres ont proposé de créer une base de données des meilleures pratiques et des projets pilotes les plus réussis.
On ne pourra assurer la réussite durable de la réforme du système de justice pénale sans prêter une grande attention à l’opinion publique, ont soutenu plusieurs participants. Les propositions soumises à la population se réduisent trop souvent à des slogans de type publicitaire (« faire la guerre » au crime ou à la drogue, « en finir avec le laxisme » pour les voyous, par exemple), et l’on utilise abusivement les statistiques pour déformer la réalité et faire pencher l’opinion dans un certain sens. Ce genre d’approche peut donner lieu à des politiques publiques coupées des besoins réels du système et accroître l’influence de considérations partisanes sur l’orientation des réformes. D’où l’importance de mobiliser largement la population, de rechercher l’appui de tous les partis et de fonder le processus sur une recherche et des données fiables.
Pour faire progresser la réforme, tous les participants ont exhorté les gouvernements à réparer les erreurs présentes et passées du système de justice pénale, notamment dans les domaines suivants :
Bien entendu, de nombreux participants avaient une idée précise des moyens de réformer le système de justice pénale avant de prendre place à nos tables rondes. On trouvera ci-dessous le résumé de leurs propositions, mais aussi des suggestions issues de discussions consensuelles. Certaines concernent les pratiques et procédures, d’autres désignent à l’attention de la ministre de la Justice de nouvelles approches et orientations politiques.
La majorité des participants ont soutenu ces différents éléments de réforme :
Les participants ont beaucoup discuté des valeurs et des principes sur lesquels repose le système de justice pénale, tout autant que de son efficacité d’ensemble. En résumé, ils ont estimé que l’examen du système doit produire les résultats suivants :
Selon le principal message issu des tables rondes, le système de justice pénale doit faire l’objet d’une réforme approfondie qui pourrait nécessiter plusieurs étapes. L’examen doit déterminer les éléments de réforme qui peuvent être rapidement mis en œuvre pour alléger le fardeau qui pèse sur le système et mieux soutenir les personnes qui ont affaire au système, tout en tenant compte du fait qu’il s’agit d’un processus à long terme. L’examen doit donc établir l’objectif final de la réforme et inscrire cette première étape dans un processus à long terme.
L’examen doit permettre l’étude des valeurs qui guideront le système de justice pénale du présent siècle, tout en s’interrogeant sur ce qui les distingue de ses valeurs passées. La réforme devra établir clairement ces valeurs actualisées et les modifications qu’elles devraient apporter au fonctionnement du système.
Trop souvent, on observe chez certaines personnes les signes précurseurs de la délinquance. L’examen devrait donc établir des « déterminants sociaux de la justice » et privilégier des programmes non intrusifs susceptibles de prévenir toute répercussion judiciaire négative.
Le système de justice pénale n’est manifestement pas aveugle aux différentes identités et origines et devrait par conséquent prendre en compte ces différences dans le traitement de chaque cas individuel.
L’examen devrait documenter les nombreuses façons dont le système de justice pénale est préjudiciable à certains groupes, parmi lesquels les Noirs et les Autochtones, et mettre au point les stratégies qui corrigeront son fonctionnement.
L’examen doit viser une réduction des taux d’incarcération, dans l’ensemble de la population comme dans certains groupes démographiques, en favorisant des approches alternatives qui englobent tous les outils dont disposent les tribunaux et les organismes d’application de la loi. Elles doivent contenir une déclaration formelle attestant le bien-fondé de ces outils et prévoir le financement nécessaire à leur utilisation.
Les réformes sont trop souvent envisagées du seul point de vue de certaines administrations, ce qui donne lieu à des propositions évaluées selon leur effet sur les mandats et les responsabilités des acteurs. L’examen doit permettre de rejeter ce cadre conceptuel et d’envisager la réforme du point de vue des personnes qui ont affaire au système de justice pénale.
Au lieu de multiplier les services sociaux et de soutien au sein du système de justice pénale, l’examen doit viser à réduire sa portée en permettant le traitement externe d’un plus grand nombre de causes et de cas individuels. L’objectif consiste ici à réduire le nombre de personnes prises dans les mailles du système.
L’interdépendance de la justice pénale et des autres systèmes sociaux nécessite une double collaboration entre leurs acteurs et l’ensemble des gouvernements. C’est à cette condition que d’importants progrès à long terme seront accomplis.
Le soutien de la population jouera un rôle crucial, surtout si la réforme donne lieu au réexamen des valeurs et principes du système de justice pénale. L’exercice sera réussi si le public juge la réforme parfaitement légitime.
La réforme doit étudier les mécanismes qui permettent au système de tirer les leçons de son propre fonctionnement et de s’adapter à l’évolution des situations.
Les participants ont souvent observé qu’en vue de réformer le système de justice pénale, le gouvernement aurait tout intérêt à adopter une approche inspirée de cette devise de la profession médicale : « Avant tout, ne pas nuire. » La criminalité est un problème majeur qui nécessite une forte réaction politique. Mais la réforme doit aussi reconnaître le recours trop fréquent à des instruments judiciaires pour traiter des problèmes sociaux.
En adoptant une approche fondée sur les « déterminants sociaux de la justice », la réforme conserverait la notion de châtiment tout en mettant l’accent sur la réhabilitation et en plaçant au cœur du système la situation, les origines et le milieu de chacun. Loin de tout laxisme, cette approche vise à déployer plus efficacement les ressources du système pour résoudre durablement les problèmes qu’il doit affronter. Au lieu d’accroître la durée d’incarcération, elle a pour but d’améliorer la situation des victimes, des accusés, des délinquants et des communautés.
Cette approche prend aussi en compte l’importance de traiter chaque cas individuellement. Comme l’ont soutenu de nombreux participants aux tables rondes, notre système repose sur la notion de neutralité et d’objectivité. Mais en réalité, il n’est ni neutre ni objectif. La justice n’est pas aveugle, et sans doute ne doit-elle pas chercher à l’être. Laissons au système le soin d’examiner les détails de chaque cas, puis d’y réagir selon la situation, le plus efficacement possible, en vue d’assurer aux parties en cause un traitement équitable plutôt qu’égalitaire.
[1] Lettre de mandat de la ministre de la Justice et procureur général du Canada, 12 novembre 2015, https://pm.gc.ca/fra/lettre-de-mandat-de-la-ministre-de-la-justice-et-procureur-general-du-canada.
[2] Voir l’ordre du jour à l’annexe A.
[3] Voir la liste des participants à l’annexe B.
[4] CBC News, « Abdoul Abdi, refugee facing deportation, says he is looking for a second chance », https://www.cbc.ca/news/politics/abdoul-abdi-exclusive-interview-1.4504760.
[5] CBC News, « Ottawa won’t pursue deportation of Abdoul Abdi, Goodale says », https://www.cbc.ca/news/canada/nova-scotia/abdoul-abdi-deportation-1.4751128.
[6] Service correctionnel Canada, « Les délinquants âgés incarcérés dans des établissements du Service correctionnel du Canada », https://www.csc-scc.gc.ca/research/005008-rs14-21-fra.shtml.
[7] Statistique Canada, « Admissions d’adultes aux services correctionnels, selon les caractéristiques de la personne admise, le type de surveillance et le secteur de compétence, 2015-2016 », https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2017001/article/14700/tbl/tbl05-fra.htm.
[8] Ministère de la Justice, « La lumière sur l’arrêt Gladue : défis, expériences et possibilités dans le système de justice pénale canadien », septembre 2017, https://publications.gc.ca/collections/collection_2018/jus/J4-46-2017-fra.pdf.
[9] « Une récusation péremptoire permet à la poursuite ou à l’accusé d’exclure un candidat juré sans donner de motifs », Énoncé concernant la Charte — Projet de loi C-75, ministère de la Justice, https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/charte-charter/c75.html. Voir aussi Le procès, ministère de la Justice, https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/victimes-victims/tribunaux-court/proces-trial.html. À noter que le projet de loi C-75 vise à supprimer les récusations péremptoires.
[10] « Une enquête préliminaire est une audience que tient le tribunal pour décider s’il existe suffisamment de preuves pour justifier la tenue d’un procès. Les enquêtes préliminaires ont lieu seulement pour les actes criminels ou infractions punissables par mise en accusation. », Le procès, ministère de la Justice, https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/victimes-victims/tribunaux-court/proces-trial.html.
[11] Statistique Canada, « Les agressions sexuelles autodéclarées au Canada, 2014 », https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2017001/article/14842-fra.htm.
[12] Ashley Maxwell, « Statistiques sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada, 2014-2015 », Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2017001/article/14699-fra.htm.
Edmonton (Alberta) — 17 avril 2018
Montréal (Québec) — 20 avril 2018
Toronto (Ontario) — 24 avril 2018
Halifax (Nouvelle-Écosse) — 25 avril 2018
Toutes les séances ont été animées par Graham Fox, président de l’IRPP.
Ce rapport a été préparé par le président de l’IRPP Graham Fox, qui a animé les quatre tables rondes, et par le chercheur Mohy-Dean Tabbara. L’IRPP remercie tous ceux qui ont contribué au processus des tables rondes, notamment les membres du Secrétariat de l’examen du système de justice pénale du ministère de la Justice, qui ont participé aux rencontres et nous ont transmis leurs commentaires sur la version préliminaire du document. Tout en ayant grandement bénéficié de l’apport des participants, ce rapport donne un aperçu des échanges et ne traduit pas nécessairement chacun des avis exprimés. La responsabilité du rapport et de ses recommandations incombe par conséquent à l’IRPP.
Pour citer ce rapport :
Institut de recherche en politiques publiques (IRPP). 2018. Repenser le système canadien de justice pénale. Rapport IRPP, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques. DOI : https://doi.org/10.26070/gwbn-1472
Ce rapport est une traduction de Rethinking Criminal Justice in Canada. Si vous désirez obtenir de plus amples renseignements sur nos publications, veuillez nous contacter à l’adresse irpp@nullirpp.org.
Pour recevoir l’infolettre mensuelle de l’IRPP par courriel, vous pouvez vous abonner sur le site Web à www.irpp.org/fr.
Montréal – En marge de l’examen du système de justice pénale mené par le gouvernement fédéral, un rapport de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) formule des recommandations susceptibles de guider cet exercice.
La justice pénale entretient des liens complexes avec plusieurs autres systèmes sociaux, dans des domaines qui vont de la santé au soutien du revenu en passant par les services de garde et le logement. L’examen en cours doit donc tenir compte de cette réalité pour limiter les effets potentiellement nuisibles et involontaires de la réforme sur les délinquants et les victimes, leurs familles et leurs collectivités.
Ce rapport synthétise les principales recommandations issues d’une série de tables rondes, tenues en avril 2018 par l’IRPP avec l’appui du Secrétariat chargé d’examiner la révision du système de justice pénale du ministère de la Justice. Ces rencontres visaient à recueillir l’avis d’experts et d’intervenants sur les interactions entre le système de justice et les autres systèmes sociaux, et la façon dont elles devraient éclairer les conclusions de l’examen.
« Selon le message le plus clairement exprimé à toutes les tables rondes, résume Graham Fox, président et chef de la direction de l’IRPP, le système de justice doit être réformé en profondeur. L’examen doit déterminer les éléments de réforme qui peuvent être rapidement mis en œuvre pour alléger le fardeau qui pèse sur le système et mieux soutenir ses acteurs, tout en prenant acte du processus à long terme qu’il faut engager. Il doit aussi définir les objectifs de ces premières mesures et inscrire cette étape initiale dans une démarche de longue haleine. »
Selon les participants aux tables rondes, l’examen doit produire les résultats suivants :
Signalons que ces tables rondes figuraient parmi plusieurs autres consultations menées depuis deux ans par Justice Canada. Ces dernières étaient structurées différemment et réunissaient des experts de différents domaines, notamment des milieux juridiques et d’application de la loi, qui ont discuté d’autres aspects de cet enjeu fort complexe. Le présent rapport doit donc être considéré comme l’une des nombreuses contributions à l’examen du système de justice pénale.
On peut télécharger l’intégralité du rapport Repenser le système canadien de justice pénale sur le site de l’Institut.
L’Institut de recherche en politiques publiques est un organisme sans but lucratif national, bilingue et indépendant basé à Montréal. Pour recevoir nos mises à jour, prière de s’abonner à notre liste d’envoi.
Renseignements : Shirley Cardenas tél. : 514 594-6877 scardenas@nullirpp.org