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Textes d’opinion

Sommes-nous capables de gouverner la transition démographique?

Nicole F. Bernier | 18 octobre 2015

Il y a deux ou trois décennies, les dirigeants politiques ont mis à la porte les actuaires en chef qui, calculs en main, les pressaient de rehausser de manière significative les cotisations des travailleurs aux régimes de retraite. L’idée faire cotiser les baby boomers à hauteur suffisante pendant leur vie active n’était pas à l’ordre du jour politique, dans ces temps-là, pas plus que celle de faire des réserves en prévision de l’avenir.

N’ayant rien vu venir, ils découvrent maintenant la démographie avec effroi, et avec elle un mantra efficace: «les régimes de retraite ont besoin d’une cure minceur».

Au nom de la démographie, de l’équilibre budgétaire et de l’équité intergénérationnelle, les appuis ne manquent pas pour rouvrir des ententes. Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) pressait les provinces de poursuivre les ajustements budgétaires en continuant de limiter les dépenses liées au vieillissement de la population. Le Conseil du patronat s’inquiétait de la qualité de vie des Québécois, menacée selon lui par le vieillissement démographique, la concurrence mondiale et la forte présence d’un État cumulant une importante dette.

Certains commentateurs applaudissaient même l’électrochoc imposé au dernier budget provincial. «Il faut se souvenir de la véritable maladie à guérir: le déficit structurel», nous disait Paul Journet de La Presse. «La cause est connue. Il s’agit du vieillissement de la population.»

Les retraités actuels et futurs en ont pour longtemps encore à lécher leurs plaies. Mais s’ils se disent que c’est ça, voir voler en éclats le contrat social, ils font erreur. Attendez de voir ce qui attend les soins de longue durée!

Le passage du baby boom à 65 ans a un impact immédiat sur les régimes de retraite qui reçoivent moins de cotisations et versent plus de prestations. Par comparaison, le choc démographique sur les soins de longue durée est différé de quelques années. Selon l’Organisation mondiale de la santé, les besoins en soins de longue durée tendent à s’accroître avec l’âge des personnes et deviennent plus nettement marqués à partir de 75 ans. De ce point de vue, les baby boomers sont encore relativement jeunes.

Vous pensez que c’est normal de compter d’abord sur les solidarités familiales pour donner un coup de main et vous avez raison. Sauf que les gouvernements ne font pas leur part. Dans une étude de l’IRPP, Jean-Pierre Lavoie a montré que, depuis les années 1990, le Québec a transféré massivement la responsabilité de soins de longue durée aux familles et au tiers-secteur, y compris des soins autrement réservés à des groupes professionnels.

Tout cela s’est fait sans l’adoption de mesures de soutien correspondantes. Lorsqu’un proche a besoin de 10, 15, ou même 20 heures de soins par semaine, les aidants doivent tenir le coup au prix de leur propre santé physique, mentale et financière, et reçoivent très peu d’appuis. Au contraire, les gestionnaires de programmes ont tendance à les considérer comme des auxiliaires de soins.

Tout le monde répète avec conviction – les personnes comme les gouvernements – que les aînés devraient vivre le plus longtemps chez soi, dans leur milieu de vie. Mais comment, au juste, allons-nous concrétiser cet idéal? Comment comptons-nous répondre à la demande pour des soins à domicile ou en établissement, particulièrement dans des régions où la population vieillit très rapidement comme l’Outaouais, Lanaudière et les Laurentides? Et sait-on même comment le logement, les milieux de vie et les transports devraient s’adapter aux changements?

Le gouvernement libéral avait dévoilé une approche détaillée, en 2012, annonçant qu’il investirait 2,85 milliards de dollars sur cinq ans, en gros pour développer des solutions d’hébergement. Son successeur s’était donné comme priorité de mettre en place un régime d’assurance autonomie qui améliorerait la couverture publique des besoins en soins à domicile. Mais rien de tout cela n’a survécu après l’élection de 2014. Même pas de vœux pieux.

Qu’est-on est prêt à faire de concret au Québec?

La conceptualisation de la démographie comme un enjeu exclusif de contrôle des dépenses budgétaires – sans une vision et sans une gouvernance du deuxième grand défi de la transition démographique – est néfaste pour tous. Cela comprend non seulement les personnes vieillissantes, mais aussi toute personne, jeune et moins jeune, appelée à devenir proche aidante, soit pratiquement tout le monde. C’est néfaste aussi pour la productivité lorsque, conciliant leurs rôles de travailleur et d’aidant, certains employés se présentent en retard au boulot, s’en absentent ou même quittent leur emploi.

La dérive décisionnelle n’est pas anodine. Ne rien faire n’équivaut pas à s’accommoder du statu quo. Vu les besoins qui s’accroîtront rapidement, il y aura détérioration majeure par rapport à la situation actuelle. Et, comme on sait, elle est déjà très moche.

Alors voici une suggestion toute simple: avec l’expérience douloureuse des régimes de retraite, on pourrait décider d’apprendre de nos erreurs, et s’y prendre d’avance, pour une fois.

Sommes-nous capables de gouverner la transition démographique?


Nicole F. Bernier, Directrice de recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques