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Textes d’opinion

Revoir les directives médicales anticipées au Québec

Louise Bernier et Catherine Régis | 25 avril 2019

Les politiques canadiennes sur les soins de fin de vie sont en pleine mutation et suscitent de plus en plus d’attention et de questionnements. Si l’aide médicale à mourir occupe l’avant-plan du débat, les directives médicales anticipées (DMA) — moins connues du grand public mais qui touchent aussi aux valeurs, aux croyances et aux besoins des personnes — ne semblent pas susciter le même intérêt. À tort. Certaines modalités du régime actuel de DMA doivent être remises en question, comme nous l’avons indiqué dans une récente publication de l’Institut de recherche en politique publique.

En 2015, le Québec a créé un nouveau régime de DMA qui permet aux Québécois de 18 ans et plus d’enregistrer dans un formulaire préétabli ou devant notaire leur volonté d’accepter ou de refuser certains soins s’ils deviennent inaptes à y consentir. Cinq interventions sont ciblées par ce régime — réanimation cardio-respiratoire, ventilation assistée par respirateur, traitement de dialyse, alimentation forcée ou artificielle, hydratation forcée ou artificielle — , lesquelles doivent s’inscrire dans des situations cliniques prédéfinies, soit lorsque le patient est en fin de vie ou que ses fonctions cognitives sont atteintes de manière irréversible. Une fois consignées, les DMA ont la même valeur juridique contraignante qu’un consentement aux soins habituel.

Différentes lacunes

Cette initiative québécoise s’inscrit dans un mouvement à l’échelle nationale et internationale qui vise à doter les gens de différents dispositifs leur permettant d’exercer pleinement leur autonomie. Or, bien que cet objectif soit important et légitime, nous pensons que, dans sa forme actuelle, le régime québécois comporte différentes lacunes. Notamment, en invitant les personnes souhaitant signer les DMA à simplement cocher des cases dans un formulaire préétabli, sans prévoir ni encadrer une réflexion sur leurs aspirations, valeurs et désirs dans un contexte de soins de fin de vie, on risque d’aboutir à des décisions qui pourraient aller à l’encontre de leurs volontés.

Par ailleurs, le régime québécois confère aux signataires la responsabilité de s’informer sur la nature des choix cliniques visés par le formulaire. Il leur incombe ainsi d’obtenir les informations médicales requises pour pleinement saisir les conséquences d’accepter ou de refuser certains soins, en se projetant au coeur de situations cliniques critiques éventuelles.

Ainsi, le devoir d’information usuel en matière de soins, normalement dévolu aux professionnels de la santé qui détiennent l’expertise et les connaissances requises, semble transféré aux patients. Étant donné sa nature abstraite, le processus établi par les DMA québécoises n’a certes pas à répondre entièrement aux mêmes formalités qu’un consentement ponctuel aux soins libre et éclairé ; néanmoins, on remet entre les mains des individus une importante décision de soins sans prévoir les ressources nécessaires pour leur fournir des informations médicales potentiellement complexes ni les renseigner sur les solutions de rechange possibles ou sur les conséquences de leurs choix. À titre d’exemple, des services d’information téléphonique avec du personnel qualifié et des capsules virtuelles expliquant ces éléments pourraient être prévus.

Fondamentalement, les gens devraient pouvoir manifester de façon claire et réfléchie leurs préférences relativement aux soins de fin de vie, en prenant en compte différents éléments importants pour eux, qu’il s’agisse de considérations personnelles ou relationnelles. Pour ce faire, plutôt que de leur offrir simplement des choix binaires (oui/non) dans un formulaire, il serait judicieux de prévoir, par exemple, un espace dans le document de DMA pour permettre aux gens d’exprimer des intérêts, des valeurs et des croyances qui donnent sens à leur vie (et à leur mort éventuelle). À titre d’illustration, on pourrait y lire que, pour certains, c’est la présence de souffrances physiques persistantes qui justifierait d’arrêter ou de refuser des traitements. Pour d’autres, ce serait plutôt la perte irréversible des facultés intellectuelles leur permettant d’interagir avec leur milieu qui motiverait un refus de soins. Ultimement, un régime de DMA devrait rendre compte des besoins au coeur des décisions des individus et être suffisamment flexible pour s’adapter à des situations de fin de vie qui peuvent comporter des ramifications complexes sur les plans humain, relationnel et clinique. C’est de cette façon que sera assuré le respect de l’autonomie des signataires des DMA.

Dans le contexte politique actuel où des voix s’élèvent pour réclamer l’ouverture des DMA à l’aide médicale à mourir, il semble plus que jamais essentiel de réfléchir aux lacunes du processus actuel et aux différentes options pour l’améliorer. Donner de l’information de qualité aisément accessible aux gens qui souhaitent signer le formulaire des DMA, leur permettre d’exprimer clairement leurs valeurs et prévoir des modalités de coexistence entre le régime des DMA et la nomination d’un mandataire sont quelques avenues à envisager.

Improving Advance Medical Directives: Lessons from Quebec

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