Le Groupe de travail de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) sur les politiques de santé met les premiers ministres en garde contre la tentation de se contenter d’un simple accord de financement, lorsqu’ils se réuniront les 4 et 5 février prochains afin d’examiner les recommandations du Comité du Sénat et de la Commission Romanow, et les invite à s’engager dans une vraie réforme du système de santé.Cette lettre analyse les conclusions des rapports Kirby et Romanow et propose des approches inédites pour faire en sorte que les réformes soient effectivement au cœur de toute nouvelle entente entre les gouvernements fédéral et provinciaux.
Montréal, le 23 janvier 2
Messieurs les Premiers Ministres,
Madame la Première Ministre,
Tout juste avant votre rencontre de septembre 2000 sur l’avenir du système de santé canadien, le Groupe de travail de l’IRPP sur les politiques de santé vous faisait parvenir un document proposant une série de réformes directement liées à l’avenir des soins de santé, le service public auquel les Canadiens sont le plus attachés et qui leur coûte le plus cher. Nos propositions étaient regroupées sous les quatre thèmes suivants :
Depuis l’Accord sur la santé de 2000, plusieurs études de chercheurs universitaires, de groupes d’intervenants et d’organismes gouvernementaux ont paru indiquant les meilleurs moyens de moderniser notre système de santé et d’appliquer les déclarations de principe du Communiqué sur la santé. Parmi ces études, deux rapports fédéraux exhaustifs serviront vraisemblablement de base à vos prochaines discussions.
Le premier, déposé en octobre 2002, est le fruit d’un examen approfondi des questions de santé et de soins de santé mené sur une période de deux ans par le Comité permanent du Sénat sur les affaires sociales, les sciences et les technologies présidé par le sénateur Michael Kirby. On y recommande plusieurs changements jugés indispensables pour faire en sorte que notre régime d’assurance-maladie réponde aux besoins des Canadiens au XXIe siècle.
Le second est le fruit des 18 mois de travaux de la Commission royale sur l’avenir des soins de santé au Canada dirigée par le commissaire Roy Romanow, travaux ayant englobé des consultations auprès de patients, de citoyens, de fournisseurs, de gouvernements et d’experts de tout le pays. Ce rapport recommande aussi d’importantes modifications au régime d’assurance-maladie afin de répondre à l’évolution des besoins des Canadiens, mais insiste pour qu’elles respectent les valeurs qui fondent notre système de santé.
Alors que vous vous apprêtez à examiner ces recommandations du Comité du Sénat et de la Commission Romanow, le Groupe de travail de l’IRPP sur les politiques de santé désire vous soumettre quelques propositions constructives.
En premier lieu, il nous semble essentiel d’envisager une vraie réforme plutôt qu’un simple accord de financement. Toute approche « traditionnelle » prévoyant d’injecter plus d’argent dans la structure actuelle de notre système de santé échouerait aussi bien à résoudre ses problèmes qu’à améliorer sa capacité de répondre aux besoins des patients, de leurs familles et de leurs communautés. Cette conviction repose sur les raisons suivantes :
Outre le Comité du Sénat et la Commission Romanow, plusieurs organismes mandatés par les provinces ont mis en évidence l’impérieuse nécessité d’un changement. Si les avis divergent quant aux moyens d’opérer ce changement, il existe un indiscutable consensus sur la nécessité de réformer l’ensemble du système – bien au- delà de l’application aléatoire de quelques recommandations –, et sur l’orientation générale d’une éventuelle réforme.
Gouvernance et imputabilité
Accès et prestation
Pour répondre aux besoins des Canadiens des petites collectivités et des régions rurales ou éloignées, nous devons réexaminer l’affectation géographique des médecins et fournisseurs de soins. Plus généralement, nous devons prendre de meilleures décisions à long terme quant aux ressources humaines en santé, en ce qui touche notamment la formation des médecins, du personnel infirmier et autres professionnels qui assureront l’autosuffisance du Canada à ce chapitre.
Si chaque proposition de cette liste très succincte revêt une grande importance et doit être rapidement mise en œuvre, nous sommes conscients de l’immense défi que cela représente et des nombreux mois qu’il faudra consacrer à l’élaboration d’une politique-cadre qui en assurera l’application.
Mais comme les gouvernements doivent commencer quelque part, et pour relever le mieux possible les défis auxquels le Canada fait face en matière de soins de santé, nous vous recommandons d’examiner les priorités suivantes lors de votre prochaine rencontre :
1) Imputabilité
Il est très difficile d’obtenir une véritable imputabilité sans une totale responsabilité fiscale. Notre système de partage des coûts entre gouvernements présente l’énorme risque de perpétuer le cycle des blâmes et des réclamations qui a d’ores et déjà sapé l’efficacité de nos structures de gouvernance. Ayant reconnu ce fait, le comité du Sénat et la Commission Romanow recommandent tous deux d’importantes mesures pour accroître l’imputabilité, moins parmi les gouvernements qu’en faveur des gens qui utilisent les soins de santé et en payent la note. Parmi ces mesures, rappelons les suivantes :
Nous croyons aussi que l’imputabilité à l’égard des patients, de leurs familles et des contribuables est d’autant plus convaincante qu’elle est assurée par des organismes de santé régionaux ayant pleine maîtrise de leur budget et pleine responsabilité pour l’entière gamme des services fournis dans leur région. La plupart des provinces se sont d’ailleurs engagées sur cette voie d’une autorité qui réponde vraiment de son action.
En complément aux recommandations du Comité du Sénat, nous estimons que les prochaines étapes devraient prévoir un financement qui « suive » les patients (c.-à-d. la capitation), surtout pour les soins de première ligne, des bons de soins à domicile, le financement des hôpitaux en fonction des services fournis, et ainsi de suite.
Une meilleure imputabilité réclame enfin d’améliorer la gestion de l’information médicale aux deux niveaux fédéral et provincial/territorial. La création d’un tel système de gestion nécessitera un meilleur financement et, surtout, une orientation politique claire qui recueille l’accord des deux ordres de gouvernement. En effet, la gestion de l’information médicale est moins affaire de technologie que de normes et de politiques communes.
2) Excellence
En plus d’un accès rapide aux soins de santé, les Canadiens sont en droit d’attendre rien de moins qu’un système répondant aux plus rigoureuses normes internationales d’excellence. L’importante part de notre PIB consacrée à la santé devrait au demeurant le leur garantir. Et comme nous le disions plus tôt, nous atteindrons l’excellence en suivant ces deux étapes :
Répétons enfin qu’il est indispensable d’améliorer radicalement la gestion de l’information médicale.
3) Innovation
Malgré les pressantes demandes d’augmentation d’honoraires et de salaires, l’innovation doit arriver en tête de nos priorités si nous voulons que l’assurance-maladie réponde aux besoins des patients d’aujourd’hui et de demain. Nous devrions attendre de notre système de santé qu’il réalise, grâce aux nouveaux savoirs et aux nouvelles technologies, les mêmes gains de productivité observés dans tous les autres secteurs économiques.
Tant la commission Romanow que le comité du Sénat ont insisté sur l’importance d’utiliser tout fonds supplémentaire pour « financer le changement ». Nous adhérons fortement à ce point de vue. D’ailleurs, cette exigence de « financer le changement » ne devrait en aucun cas être perçue comme une condition rattachée à l’obtention de nouveaux fonds, mais bien comme une promesse de reconnaissance pour les provinces et territoires qui relèvent le défi consistant à inventer d’intéressants modèles de réforme qu’on puisse ensuite appliquer à tout le pays.
Aussi recommandons-nous une méthode d’augmentation du financement de base offrant des incitations fiscales aux provinces qui tenteront d’accroître la productivité des services de santé selon des moyens adaptés à leur situation. Certaines voudront par exemple accélérer la réforme des soins de première ligne, d’autres chercheront à déléguer autorité et responsabilité à des organismes régionaux, d’autres encore lanceront des initiatives liées à la santé des autochtones ou à la gestion de l’information médicale. Les défis sont aussi nombreux que diversifiés. Et justement, il semble particulièrement opportun de s’inspirer de la diversité canadienne pour relever ces défis selon les caractéristiques de chaque province et territoire en vue d’appliquer à l’ensemble du pays les expériences les plus convaincantes.
Conclusion
Répétons-le de nouveau : l’argent n’est pas le principal enjeu. Comme un cataplasme, il ne servirait qu’à soulager temporairement les symptômes de problèmes qui auront tôt fait de réapparaître. Le seul véritable traitement réside dans une réforme majeure et systémique.
Les problèmes actuels de notre système de santé trouvent leur source dans notre incapacité chronique de reconnaître l’évolution qu’il a subie depuis quarante ans. Nous devons faire preuve du même courage qui a donné naissance au régime d’assurance-maladie financé et administré par l’État tel que nous le connaissons pour moderniser ce système à la lumière des changements intervenus depuis quatre décennies.
Le processus de réforme de notre système de santé nécessitera plusieurs étapes. Mais toute tentative doit impérativement priv- ilégier les trois éléments suivants, que nous vous suggérons d’examiner en priorité, en vue d’une action diligente :
1. Améliorer l’imputabilité à l’égard des patients et citoyens
2. Atteindre l’excellence
3. Favoriser l’innovation pour répondre aussi durablement que possible aux besoins des Canadiens du XXIe siècle.
En somme, le système de santé canadien s’est développé au fil du temps au même rythme que sont apparus ses problèmes structurels. Des problèmes qui ne se régleront pas du jour au lendemain et pour lesquels il n’existe aucune solution miracle. Mais il est urgent de planifier sans délai l’ordre du jour d’une réforme qui s’étendra sur plusieurs années. Votre rencontre ce mois-ci portera à n’en pas douter sur la question du financement, mais elle vous offre surtout l’occasion idéale de discuter du lancement d’un programme courageux, fiscalement responsable et socialement progressiste visant l’amélioration de notre sys- tème de santé. Les Canadiens ne méritent rien de moins.
Veuillez agréer nos salutations distinguées.